
Pour Suzanne Citron, historienne, « l’existence de monstres bureaucratiques comme la DGESCO invite impérativement à repenser les structures, les pouvoirs, le relationnel d’un projet éducatif pour le XXIe siècle. Une école plus humaine, plus créative, plus efficace est à réinventer ».
(...) La polémique cristallisée autour de la suppression d’environ 60.000 postes d’enseignants depuis 2007 et de la proposition de François Hollande de rétablir ce nombre en cinq ans laisse de côté tout questionnement de fond. Pourtant, depuis des années, l’Education nationale vit dans un malaise que l’avènement de Nicolas Sarkozy et la gestion autoritaire et incohérente des ministres Darcos et Chatel a transformé en désastre. Les symptômes les plus graves sont, d’une part, la disparition chaque année dans la nature de 250.000 décrocheurs de l’enseignement secondaire et, d’autre part, le caractère foncièrement élitiste du système français, performant pour une minorité, mais reconnu peu efficace pour les autres (rapport PISA). Le climat de violences et les difficultés actuelles des enseignants désormais privés d’une réelle formation professionnelle sont inséparables de cette inefficience. (...)
Certaines raisons historiques sont à rappeler. (...)
On a certes beaucoup glosé autour du mammouth, mais sans jamais faire l’exploration clinique d’une machinerie administrative dont les linéaments remontent au consulat et qui reste caractérisée par la centralisation bureaucratique et les hiérarchies politique et administrative. (...)
Maintenue et densifiée par la IIIe République, cette organisation n’a jamais été remise en question. Les surcoûts et les dysfonctionnements d’un système qui survalorise un modèle de savoirs encyclopédiques juxtaposés n’ont pas été évalués.
Or, dans les dernières décennies, la complexification de la société s’est propulsée dans le système éducatif (...)
Chaque nouvelle « mission » de l’éducation donne lieu à la création d’un bureau ou sous-bureau spécifique : « valeurs de la république », « développement durable », etc. Ainsi s’est constitué, en concurrence avec l’Inspection générale maintenue comme structure à part, un monstre bureaucratique dénommé Direction générale de l’enseignement scolaire, DGESCO, dont voici un aperçu de l’organigramme (voir aussi sur le site du ministère ou télécharger l’organigramme de l’administration centrale du ministère). (...)
Cette citadelle kafkaienne rend totalement opaque le processus de prise de décision. (...)
L’usine à gaz de la DGESCO matérialise la logique à la fois dispendieuse, inefficace et perverse d’une machinerie ministérielle d’inspiration napoléonienne et qui aujourd’hui prétend « manager » l’enseignement scolaire français par des commandes cloisonnées, tatillonnes et déconnectées de la réalité des terrains.
Non seulement ce fatras de textes est inutile, mais il a un effet déstabilisant. (...)
Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, le système aboutit à la sélection d’une méritocratie dans une société de plus en plus inégalitaire. Le respect et la valorisation de tous les talents doit être la charte de base d’une vraie réforme de l’éducation, parallèlement à une politique de réduction des inégalités de statut économique et de considération. Certes la (re)fondation d’une société des égaux (2) ne se fera pas sans la recherche d’une alternative au capitalisme de la concurrence débridée et du tout financier. Il n’en demeure pas moins que le démantèlement d’usines à gaz comme la DGESCO et donc de la réorganisation du ministère sont un impératif incontournable pour redonner du sens à l’éducation des élèves.