
La crise du covid renforce les tendances à la « démondialisation » apparues suite à la crise de 2008 et au « trumpisme ». Les pays en développement en feront-ils les frais, comme le suggèrent certaines déclarations ? La réalité est autrement contrastée. Beaucoup de gouvernements du Sud défendent surtout une insertion plus souveraine dans l’économie mondiale. Et des mouvements sociaux vont plus loin, exigeant de rompre avec le capitalisme international.
Une mutation idéologique semble s’être achevée avec la crise du covid : l’idée que la mondialisation avait été « trop loin » et qu’une forme de « démondialisation » était dès lors souhaitable a quitté les marges politiques pour s’imposer dans le débat public. Les coûts et les risques de la dépendance aux flux mondiaux semblent prendre le dessus, dans l’imaginaire collectif, sur les avantages et opportunités qu’offre l’intensification des échanges transfrontaliers. A minima, c’est la vulnérabilité induite par l’approvisionnement de domaines stratégiques pour la sécurité collective à des chaînes de valeurs internationales que la crise sanitaire met au jour.
Au-delà, la pandémie est envisagée par de plus en plus d’acteurs comme une créature de la mondialisation, née de l’expansion géographique du productivisme et de l’intensité des flux économiques entre continents. Elle est le symptôme d’une « mal organisation du monde », en fonction du seul critère de « compétitivité-coût », qui génère une course vers le bas sociale et environnementale, favorise « a prolifération d’événements incontrôlables prenant une dimension de déstabilisation systémique » et impose dès lors une « relocalisation » des systèmes productifs (Combes et col., 2020).
L’objectif de cet ouvrage collectif est de mettre en lumière des « points de vue du Sud » sur cette hypothèse de la démondialisation. Les appels récents des pays émergents à ne pas céder aux sirènes protectionnistes sont-ils révélateurs d’un rapport plus confiant à l’intégration des économies ? Signifient-ils que ces pays se vivent globalement comme les gagnants de la mondialisation ? La croissance des inégalités et la poussée de la rhétorique nationaliste qu’on y constate (également), suggèrent une réalité plus complexe. (...)
Dans le cadre de cet ouvrage, c’est néanmoins essentiellement la moindre mondialisation « économique » qui sera entendue par le terme de démondialisation, soit un repli absolu ou relatif de ces processus qui président depuis trois décennies à l’intégration des économies : internationalisation des processus productifs (les chaînes de valeur), augmentation du poids du commerce international, rôle grandissant de l’investissement étranger.
La démondialisation renvoie donc à une série de phénomènes objectifs et relativement mesurables (comme le recul de la part des exportations dans le PIB mondial), mais elle est simultanément l’objet de discours normatifs exprimant la plus ou moins grande désirabilité de ces phénomènes. (...)