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La dangerosité de l’hydroxychloroquine : une fable politico-médiatique ?
/ Laurent Mucchielli, sociologue
Article mis en ligne le 13 mai 2020

Prescrite en Chine, aux États-Unis, au Brésil, en Inde, dans la plupart des pays africains, au Proche-Orient et dans certains pays d’Europe, l’HCQ est déclarée dangereuse voire mortelle par les autorités françaises. Et les journalistes suivent. L’affirmation ne résiste pourtant pas à l’analyse. Connus de très longue date, les effets secondaires sont bien contrôlés à l’IHU de Marseille.

Le 5 mars 2020, dans un « Avis relatif à la prise en charge des cas confirmés d’infection au virus SARS-CoV2 », le Haut Conseil de la santé publique (Direction générale de la Santé) indiquait que « on ne dispose pas à ce jour de données issues d’essais cliniques évaluant l’efficacité et la sécurité d’options thérapeutiques spécifiques dans la prise en charge des infections ». Toutefois, se référant à des recommandations d’un comité de l’OMS datées du 24 janvier 2020, il faisait déjà un choix : « le traitement spécifique à privilégier selon une approche compassionnelle est le remdesivir » (le très coûteux médicament du très influent laboratoire pharmaceutique américain Gilead). Et dans les médias, certains caciques de l’administration sanitaire (à l’instar du directeur général de l’AP-HP, Martin Hirsch, dès le 1er mars) déclaraient déjà que le traitement différent proposé par le professeur Raoult (IHU de Marseille) ne servait à rien et qu’il était dangereux. Ainsi, avant même la constitution du Conseil scientifique chargé de la gestion de la crise du Covid, le 11 mars, le choix du ministère de la Santé était déjà fait. La sécession de Raoult s’éclaire d’un jour nouveau. Et l’on comprend mieux comment est arrivé dans le débat l’argument de la dangerosité cardiaque de l’hydroxychloroquine. Le ministère de la santé donne le La La suite est connue. Constatant cette mise à l’écart et après sa mise en retrait du Conseil scientifique, D. Raoult lance sa propre communication par vidéo le 5 mars, date à laquelle son équipe teste encore différentes combinaisons d’anti-virus et d’antibiotiques en s’inspirant notamment des recherches chinoises signalées 10 jours plus tôt, puis annonce son protocole définitif et ses premiers résultats le 16 mars. L’IHU teste alors déjà environ 600 personnes par jour. Face au succès populaire que rencontre Raoult, la riposte générale s’organise au ministère. (...)

Toutes les agences du ministère de la Santé dégainent donc l’artillerie lourde pour éteindre l’incendie allumé par Raoult. Et la presse médicale comme la presse généraliste vont suivre presque comme un seul homme la communication gouvernementale. A ce moment-là, les 3 seuls décès suspects signalés dans le réseau régional de pharmacovigilance (en l’occurrence celui de Nouvelle-Aquitaine) sont pourtant des cas d’automédication (signalés par exemple par Sud-Ouest). Rien à voir avec la prescription médicale dont le dosage comme les effets sur l’évolution clinique des malades sont contrôlés par les médecins. Aucun de ces communiqués (et aucun des articles de presse qui les relayeront) ne rappelle en outre que les effets indésirables graves de l’hydroxychloroquine, connus de longue date (on y reviendra), surviennent essentiellement dans les traitements de longue durée de certaines maladies graves, tandis qu’il est ici question d’un traitement de quelques jours. Mais qui se soucie de tous ces « détails » ?

Quand Le Monde travaille à charge

Après une première salve d’articles de presse à la fin du mois de mars, le 9 avril c’est Le Monde qui relance le sujet avec un article de Sandrine Cabut intitulé « Coronavirus : les effets indésirables graves s’accumulent sur l’hydroxychloroquine ». (...)

Enquête du quotidien le plus célèbre de France ou exercice de traduction vers le grand public de la communication gouvernementale ? Par naïveté ou en service commandé de sa rédaction en chef ? Ces questions se posent malheureusement. En effet, l’article souffre d’une quadruple carence d’analyse :

1- Savoir compter. Combien y-a-t-il eu de morts ? L’article dit « 7 morts » mais « 3 ont pu être sauvé » (sic !). Donc 4 morts et non 7. L’article précise : « depuis le 27 mars ». Or le précédent bilan de pharmacovigilance qui annoncé 3 morts par automédication date du 29 mars. Se pourrait-il qu’il n’y ait en réalité que 1 mort supplémentaire depuis cette date ? Le communiqué de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) du 10 avril le confirmera : il y a eu en tout et pour tout 4 décès « en lien avec des médicaments utilisés chez des patients infectés par le COVID-19 ». Et ce, sans que l’on sache du reste si le médicament en cause est l’hydroxychloroquine ou/et le lopinavir (de même que les rapports de pharmacovigilance n’indiquent rien au sujet des associations de médicaments).

2- Savoir estimer la valeur d’une information. Si tous ces décès sont le fait de personnes qui se sont auto-médiquées, en quoi cela constitue-t-il une information pertinente pour comprendre le problème posé ? Tout surdosage de médicament est potentiellement dangereux voire mortel. C’est un truisme. (...)
3- Savoir interpréter les chiffres. Si on constate 1 mort pour 100 patients traités avec un médicament, alors on a un taux de mortalité de 1%. Mais combien de patients ont été traités avec l’hydroxychloroquine en mars 2020 ? Les données de l’assurance-maladie l’indiquent clairement : la délivrance sur ordonnance a augmenté de 145% durant la deuxième quinzaine de mars. « Nous estimons à environ 28 000 le nombre de personnes supplémentaires ayant acquis sur ordonnance un traitement d’hydroxychloroquine (ou plus rarement de chloroquine) sur les semaines 12 et 13 de 2020 », écrit le rapport public (page 11). Si l’on constate 1 mort pour 28 000 patients traités avec un médicament, le taux de mortalité n’est plus du tout de 1% mais de 0,0035%. Et il est même beaucoup plus faible encore car il s’agit ici de 28 000 « personnes supplémentaires ». Auxquelles il faut y ajouter toutes celles qui achetaient déjà et continuent à acheter en pharmacie de l’hydroxychloroquine pour d’autres maladies que le Covid : environ 1 500 personnes par jour (hors dimanche) en janvier 2020 (ibid., page 13), soit environ 45 000 personnes par mois (les ordonnances se renouvèlent tous les mois). La base de calcul du taux de mortalité se situe donc plutôt entre 70 et 75 000. Et ceci ne compte pas les dizaines de milliers de voyageurs. Au final, le taux de mortalité est donc insignifiant.

4- Ne pas manipuler les sources. L’informateur du Monde est donc le CRPV de Nice, ce qui est logique puisque le CRRPV de Dijon a été chargé par l’ANSM de « recenser l’ensemble des effets indésirables déclarés dans la base nationale de pharmacovigilance », tandis que celui de Nice a été chargé de « réaliser une enquête complémentaire portant spécifiquement sur les effets cardiovasculaires de ces traitements ». Le quotidien local Nice-Matin l’avait du reste déjà annoncé une semaine plus tôt, le 1er avril, publiant une interview du Dr Drici. Ce dernier s’y montrait beaucoup plus circonspect et démentait les informations alarmistes déjà distillées dans la presse (...)

L’article du Monde est ainsi en réalité un cas d’école, qui pourrait être enseigné dans les centres de formation aux métiers du journalisme comme l’exemple typique de ce qu’il ne faut pas faire : travailler à charge, pour démontrer quelque chose qu’on a fixé par avance, trier dans le réel ce qui semble soutenir le préjugé de départ, surinterpréter, ne pas vérifier les informations, ne pas relever les contradictions de son informateur, ne pas chercher les arguments opposables, ne pas diversifier les sources, etc. (...)

Voici donc 70 ans que ces médicaments sont consommés dans le monde et on peut probablement parler d’au moins un milliard d’utilisateurs. Le Dr Drici l’indiquait à la journaliste du Monde dans l’entretien déjà cité : « sur la période 1975-avril 2020, soit quarante-cinq ans, 393 cas d’arythmies cardiaques tous azimuts, relatives à l’hydroxychloroquine ont été enregistrés au niveau mondial, et aucun cas de mort subite ».

En France, en réponse à l’interrogation de Martine Wonner, médecin et députée du Bas-Rhin, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) indiquait le 9 avril qu’environ 4 millions de boîtes de Plaquenil ont été vendues en France entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019. Durant ces 3 ans, la pharmacovigilance a rapporté 312 cas d’effets indésirables essentiellement oculaires et cutanéo-muqueux. Seuls 21 cas sont des effets cardiovasculaires. Enfin 3 ans, 2 décès ont été rapportés, dont 1 cas est une intoxication médicamenteuse chez un sujet prenant 6 psychotropes en plus de l’hydroxychloroquine (suicide ?). En résumé, s’agissant principalement du traitement de personnes atteintes d’une maladie chronique auto-immune grave (le lupus) qui s’attaque aux organes vitaux (entre autres le cœur), pour 4 millions de boites de médicaments, on enregistre 21 cas de troubles cardio-vasculaires et 1 ou 2 cas de décès peut-être liés à un effet du médicament.

Ceci indique que la multiplication des cas signalés aux agences régionales de pharmacovigilance depuis le mois de mars 2020 (que la presse continue de relayer à la façon du Monde, comme ici Mediapart [sic !] et le Figaro) ne procède pas de l’usage de ce médicament en lui-même, mais des maladies dont souffrent les personnes à qui il est administré officiellement à l’hôpital, dans des cas graves pour lesquels l’IHU explique depuis le début qu’il est inutile.

Des effets secondaires indésirables bien connus et étroitement surveillés à l’IHU de Marseille (...)
L’IHU de Marseille traite les malades du Covid avec des médicaments dont le risque cardiaque, bien que rare, est très connu et très surveillé. Dans l’équipe, un professeur de l’hôpital de La Timone, spécialiste de cardiologie et de rythmologie, le Dr Jean-Claude Deharo, l’explique dans un communiqué repris sur le site de l’IHU le 1er avril (...)

Conclusion

Que ce traitement soit efficace ou pas est un autre débat, qui relève de la connaissance d’études scientifiques dont on a proposé récemment sur ce blog un bilan provisoire. La conclusion de l’enquête de ce jour amène, elle, à une conclusion on ne peut plus claire : dire que l’hydroxychloroquine constitue un médicament dangereux et que cela justifie sa mise à l’écart dans le traitement du Covid constitue une exagération tellement importante de la réalité qu’elle s’apparente à un mensonge d’Etat que le professeur Raoult est parfaitement fondé à dénoncer comme tel. Ceci constitue de surcroît une infantilisation des médecins (bien comprise comme telle par ces derniers) qui connaissent parfaitement et depuis très longtemps les éventuels effets secondaires nocifs de l’hydroxychloroquine, de même que les moyens d’en contrôler et d’en prévenir la survenue.