
Logements surpeuplés ou insalubres, familles fragiles et dépendantes des associations et services sociaux désormais fermés... Le confinement démultiplie les difficultés pour les mal-logés. Les associations tentent de s’organiser.
Au téléphone, la voix de Madame Kholif évoque plus l’inquiétude que la plainte. En arrière-plan, on entend des petites voix qui interpellent leur mère. Avec la fermeture des écoles, elle a dû arrêter le travail pour les garder. « J’habite dans un appartement de 22 mètres carrés avec mes trois enfants en bas âge », raconte-t-elle. « À cause des punaises, j’ai tout jeté, on dort par terre. Il y a aussi des cafards et de l’humidité. Il y a une seule fenêtre, peu d’air entre. On essaye de faire des activités intéressantes mais c’est compliqué. » Ce n’est pas tant le coronavirus que l’asthme de son fils de six ans qui la préoccupe. En cette période de confinement, ses poumons sont exposés en permanence à l’air malsain de leur logement, situé à Pantin (Seine-Saint-Denis). « Le médecin m’a dit qu’il faudrait changer de maison. Je suis prioritaire dalo [elle est reconnue prioritaire pour l’accès à un logement digne] mais j’attends, je ne sais pas jusqu’à quand », se désespère cette mère célibataire.
Même scénario dans un hôtel de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). Pour la famille Petrosyan – deux parents et trois enfants – le confinement est synonyme d’entassement dans une chambre de 19 mètres carrés dans un entresol. (...)
« Le confinement, pour les mal-logés, c’est comme si on les mettait en prison »
« C’est la catastrophe ! » s’insurge Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droit au logement. Elle accompagne les familles Kholif et Petrosyan, mais aussi des centaines d’autres. « Le confinement, pour les mal-logés, c’est comme si on les mettait en prison. Il est évident que pour des raisons de santé publique il faut les sortir de là, mais le gouvernement n’a pas pris de mesures sérieuses là-dessus. » La trêve hivernale a bien été prolongée de deux mois, et 2.000 places d’hôtel supplémentaires promises pour les sans-abri. « Mais on est très loin du compte pour les sans-abri, et il n’y a rien pour les mal-logés, estime Jean-Baptiste Eyraud. On demande la réquisition des Airbnb. »
Le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement, publié en janvier 2020, fait état de près de quatre millions de personnes mal-logées, parmi lesquelles les sans-abri, les « Gens du voyage », les résidents de foyers de travailleurs migrants, mais aussi 25.000 personnes dont la résidence principale est une chambre d’hôtel, plus de 600.000 personnes en hébergement « contraint » chez un tiers, plus de 900.000 personnes vivant dans des conditions de surpeuplement « accentué » du logement [1].
Le tableau contraste fortement avec celui des 13 % de Français heureux propriétaires d’une résidence secondaire, dans la majorité des cas située sur la côte ou dans le sud de la France, qu’ils ont éventuellement pu rejoindre afin d’adoucir leur confinement. (...)
nous sommes peut-être tous dans le même bateau – la planète – mais nous n’y sommes pas au même poste. Certains ont un accès prioritaire aux canots de sauvetage quand d’autres restent coincés en fond de cale. (...)
Être confiné dans un logement surpeuplé et/ou dégradé rend plus vulnérable au virus. (...)
Promiscuité plus forte et allées et venues plus nombreuses démultiplient donc les risques de contagion. Ce alors que « le nettoyage approfondi a été suspendu par le bailleur, observe Nelly Angel. Dans ma tour, il y a cent logements. Donc quand je sors, je prends mes lingettes, je désinfecte les boutons de porte et d’ascenseur. »
« Dans les quartiers, on cumule malbouffe, mal-logement et pollution. Cette épidémie, elle touchera plus là. Si des gens doivent mourir, ce sera plus là », prédit Mohamed Mechmache, porte-parole du collectif ACLEFEU (...)
Sur le terrain, chacun se débrouille. « Il a fallu que l’on crie auprès de la mairie pour obtenir la liste des personnes inscrites à la distribution alimentaire et qu’on les appelle une à une, sinon elles n’avaient plus rien à manger, raconte Djamel Blanchard, militant à Angers du collectif Pas sans nous, qui se veut le syndicat des quartiers populaires. Certains ne parlent pas ou mal français et le bouche à oreille a fait qu’ils ont compris que s’ils sortent, la police leur met une amende. » « On est submergés par les demandes d’attestation, témoigne aussi Nelly Angel à Saint-Denis. Tout est fermé : le parc, la médiathèque, notre maison de quartier. On ne peut même plus faire une photocopie. » Elle a demandé un bailleur une adaptation des loyers aux revenus pour qu’« une famille qui n’a plus que 80 % de son revenu ne paye que 80 % du loyer. » Sur le plateau de Creil, Djamila, médiatrice sociale et culturelle, multiplie elle aussi les attestations, en particulier pour les personnes âgées. « La difficulté, c’est aussi d’aller faire ses courses dans les supermarchés moins chers comme Lidl ou Aldi, qui sont plus loin. Les policiers risquent de dire que vous êtes loin de chez vous. Mais les commerces de centre-ville sont plus chers », raconte-t-elle. (...)
Autre conséquence non anticipée du confinement, la surpopulation dans de nombreux logements pousse habituellement les « jeunes », c’est-à-dire les adolescents et jeunes adultes, à se regrouper dans la rue. « Certains sortent encore, ils essayent de trouver des espaces à eux. Mais on craint les tensions avec la police », explique Mohamed Mechmache, porte-parole du collectif AC Le Feu. « Les policiers savent très bien qui cibler, confirme Djamel Blanchard à Angers. Ils passent beaucoup plus dans les quartiers populaires. » Un nombre record d’amendes a été enregistré en Seine-Saint-Denis, relate Le Parisien. Plusieurs vidéos ont témoigné de contrôles musclés, par exemple à Torcy, où un jeune homme a eu droit à un placage ventral et une clé d’étranglement. « Cela nous donne l’impression d’une certaine oppression, que le gouvernement est suspicieux envers nous et que le confinement offre à l’État un mode de contrôle social supplémentaire dans les quartiers », observe Djamel Blanchard. (...)
Les mal-logés n’ont pas pour autant l’intention de se taire. Une journée de mobilisation devait se tenir au niveau européen samedi 28 mars, pour dénoncer les expulsions, les logements chers, la spéculation, et défendre le droit au logement pour tous. Elle a dû être reportée, maisune pétition a été mise en lignepour demander des réquisitions de logements et un moratoire sur les loyers et les factures. Et samedi, le DAL et d’autres associations appellent, à 18 h, à un « raffut aux fenêtres pour les sans-logis, les mal-logés et les locataires ».