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La betterave, cheval de Troie des néonicotinoïdes
Article mis en ligne le 23 septembre 2020

Le gouvernement veut réautoriser l’utilisation des insecticides néonicotinoïdes dans les champs de betteraves, décimés par le virus de la jaunisse. Seule solution, selon les producteurs, pour sauver leurs récoltes. Face à l’enjeu économique, les défenseurs des abeilles et ceux qui veulent repenser la filière betteravière ont du mal à se faire entendre.

Cette crise sanitaire vient affaiblir un secteur agricole déjà mal en point. Depuis 1968, des quotas limitaient la production de sucre au sein de l’Union européenne. En guise de contrepartie, un prix minimum était garanti aux producteurs. Mais le 1er octobre 2017, ces quotas de sucre et ce prix minimum ont été supprimés, ce qui a entraîné une surproduction et un effondrement du marché.
Une difficulté supplémentaire pour le secteur

Le virus de la jaunisse vient donner un coup de massue supplémentaire à la filière. La Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) et le ministère de l’Agriculture estiment que cette année, les pertes de rendements pourraient être de l’ordre de 30 à 50% à l’échelle nationale. (...)

Le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a présenté au début du mois d’août un plan de soutien à la filière. Le gouvernement a promis la mise en œuvre de programmes de prévention des infestations par les ravageurs, l’accélération de la recherche pour identifier des « alternatives véritablement efficaces » – 5 millions d’euros supplémentaires ont été débloqués – et des indemnisations en cas de pertes trop importantes. Et surtout, le ministre Julien Denormandie a annoncé qu’il souhaitait modifier la loi pour réintroduire les néonicotinoïdes, ces insecticides dits « tueurs d’abeilles » interdits depuis 2018. (...)

Cette réautorisation se ferait par enrobage de semence — les graines de betteraves destinées aux semis sont enrobées de néonicotinoïdes pour les protéger des attaques — et non par pulvérisation, « pour la campagne 2021 et le cas échéant les deux campagnes suivantes tout au plus ». Douze autre pays européens bénéficient déjà d’une dérogation similaire, « en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ».
« Si on avait des solutions, on les aurait appliquées »

Car c’est bien cette absence prétendue d’autres moyens de lutter contre le virus de la jaunisse, que dénoncent les producteurs de betteraves. (...)

« L’enjeu c’est bien de savoir si on veut produire en Europe le sucre consommé par les Européens, ou si on préfère l’importer du Brésil ou de l’Inde », poursuit Alexis Hache. L’agriculteur affirme en outre que « rien ne prouve scientifiquement que les néonicotinoïdes ont un impact sur les abeilles et sur les autres pollinisateurs dans le cas particulier de la betterave ».

Des restes de néonicotinoïdes dans les sols

Dans le cas particulier de la betterave, les études manquent effectivement. Et la filière ne cesse de rappeler que les racines de la betterave sucrière sont arrachées par les producteurs bien avant leur date de floraison, ce qui empêcherait le risque que les abeilles – très sensibles aux néonicotinoïdes – viennent les butiner. En revanche, les néonicotinoïdes en eux-mêmes ne sont pas inconnus de la recherche.

En 2017, une équipe de chercheurs canadiens a suivi les colonies d’abeilles de cinq ruchers proches de champs de maïs traités par enrobage de semences aux néonicotinoïdes, et six ruchers éloignés des activités agricoles. Les abeilles ont récolté du pollen contaminé avec des néonicotinoïdes. Mais ce pollen ne provenait pas de plants de maïs. « Cela indique que les néonicotinoïdes, qui sont solubles dans l’eau, se répandent des champs agricoles vers l’environnement alentour, où ils sont absorbés par d’autres plantes qui sont très attrayantes pour les abeilles » (...)

En outre, les chercheurs observaient que les abeilles exposées subissaient une diminution de leur reproduction et de leurs réponses immunitaires. (...)

En outre, les chercheurs observaient que les abeilles exposées subissaient une diminution de leur reproduction et de leurs réponses immunitaires. (...)

Marc Dufumier estime donc que face aux problèmes que le secteur de la betterave sucrière rencontre, la solution n’est pas d’essayer de sauver la face en réintroduisant des produits dangereux, mais en acceptant de produire moins selon les années. « De moindres rendements à l’hectare, si cela peut se traduire par de moindres coûts en insecticides, ça peut être plus de valeur ajoutée à l’hectare, précise-t-il. Donc ce ne serait pas la ruine de la filière betterave, mais au contraire son sauvetage. » L’agronome plaide également pour des rotations de cultures plus longues, six ou sept ans au lieu de trois, par exemple – ce qui est par ailleurs déjà le cas d’Alexis Hache. Pour que les producteurs ne perdent pas d’argent, Marc Dufumier pense que des subventions compensatrices pourraient être mises en place par le gouvernement, comme pour les accidents naturels de gelées sur les vignes par exemple.
Un cheval de Troie

Deux visions s’opposent dans cette polémique. Celles de producteurs de betteraves qui, en toute logique, veulent seulement continuer à gagner leur vie et voient dans les néonicotinoïdes une réponse à leurs problèmes ; et ceux qui plaident pour une réduction de la production et une réorganisation entière de la filière. En effet, si les rendements de betteraves venaient à baisser, les sucreries devraient donc aller chercher plus loin les productions, et par conséquent payer plus cher.

« Il faut revoir la filière dans son ensemble, abonde Christophe Caroux, producteur de betteraves bio installé dans le Pas-de-Calais. Selon moi, l’industriel doit payer la betterave à son juste prix pour pouvoir faire vivre ses producteurs, sans qu’ils soient obligés de faire des rendements qui dépassent des plafonds intolérables. » (...)

Pire encore que la perspective de voir la réintroduction des néonicotinoïdes pour les betteraves, certains craignent le retour programmé de ces produits pour toutes les cultures. « Est-ce que la betterave ne sera pas le cheval de Troie des néonicotinoïdes par enrobage », s’interroge Damien Houdebine, secrétaire national de la Confédération paysanne, syndicat agricole français opposé au retour de ces substances. En effet, même si le ministère de l’Agriculture ne cesse de répéter que la dérogation introduite par le projet de loi ne concernera que la betterave sucrière, cela n’est pas explicitement mentionné dans le texte législatif. (...)