
*Aujourd’hui, 1er Avril 2013, ce n’est pas uniquement le Lundi de Paques et le jour des calembours. C’est aussi et surtout le jour de la fin de la trève hivernale, qui sonne ainsi la reprise des expulsions.
Etrange concept que d’estimer qu’il est des périodes plus propices que d’autres pour se retrouver à la rue.
C’était la première nuit où vraiment, je ne savais pas ni quoi faire, ni où aller.
Il y avait bien Laura, chez qui j’avais passé une grande partie de mes nuits depuis que j’étais à la rue, mais justement, ça commençait vraiment à me mettre mal à l’aise. Elle était pas chiante Laura, ça non. Elle m’avait toujours dit que je pouvais compter sur elle, qu’elle ne pouvait de toute façon pas me laisser "comme ça", elle me demandait pas de me justifier, "est ce que tu te drogues encore", "t’es sûre que ce serait si terrible que ça le sevrage en hôpital ?", elle faisait pas chier avec ces trucs là.
Mais bon je voyais bien, je sentais, elle avait pas signé pour se retrouver avec une toxico mineure en fugue clouée chez elle jusqu’à cinq soirs par semaine, et la grandeur d’âme a ses limites. Surtout que j’avais rien à lui donner en échange.
Depuis un moment, ses "Mais t’as une idée de comment tu vas te débrouiller pour la suite" m’apparaissaient de moins en moins bienveillants et de plus en plus chargés de sous entendus. C’est à dire, non seulement je représentais une charge supplémentaire, mais en plus, je lui faisais prendre des risques. Alors bon, je ne lui en voulais pas vraiment de perdre un peu de sa bienveillance à toute épreuve. Quoi que peut être un peu, par moments.
De toute façon, quand t’es là, enfermée dehors, à te sentir trop comme une pauvre conne, t’en veux un peu à tout le monde. Parfois, j’avais envie de bondir sur les gens de cet éternel centre ville où j’étais la plupart du temps condamnée à me cacher pour attendre le rien, juste histoire de leur cracher toutes mes emmerdes à la gueule comme ça, une bonne fois. Je suis malade, recherchée par la police, je n’ai nulle part où me poser, ni le jour, ni la nuit, j’ai pas une thune, j’ai faim, j’ai froid, et j’ai plus de parents. (...)
Quand tu te retrouves à la rue, les premiers jours, tout le monde te tend la main. Une nuit par ci, une nuit par là, t’es comme un pote qu’on invite pour la soirée, finalement ça ne change pas grand chose pour ton hôte. Tout le monde te demandes "Comment tu vas faire pour la suite ?", et tu sens bien que "je ne sais pas" n’est pas une réponse acceptable. Quand tu prononces ces mots c’est gros malaise, ha tu veux dire, c’est vraiment la merde là, c’est pas du tout bonne ambiance ton histoire ?
Et puis ensuite les ennuis commencent à s’accumuler.
les possibilités de potes chez qui squatter de temps en temps se sont radicalement réduites. J’avais mes copines les plus proches qui pensaient à moi dès que leurs parents étaient absents pour une nuit, mais c’était pas souvent, j’ avais Laura, qui avait un studio et que mes parents ne connaissaient pas, et puis, je l’apprendrais par la suite, j’avais les rencontres du hasard.
En tout cas ce jour là, le temps était passé comme un éclair, et aucune perspective ne s’était dessinée pour moi. Arrivée à la fin de la journée, j’avais été envahit d’une peur terrible. Qu’ est ce que j’allais faire ? Fallait que je trouve un truc, je ne pouvais pas rester dehors toute une nuit comme ça, j’allais pas y survivre, j’allais forcément me faire agresser, ou me faire arrêter par les flics, et puis il faisait juste beaucoup trop froid.
Et si je demandais de l’aide à un(e) inconnu(e) ? Mais comment être sûre de ne pas tomber sur un fou(lle) furieu(se)x ? Ou bien de ne pas tomber sur quelqu’un de tellement trop bienveillant qu’il allait finir par appeler les flics ? (...)