
Suite à la récente décision du président Recep Tayyip Erdoğan d’ouvrir les frontières de la Turquie avec la Grèce, 20 000 migrant·e·s sont coincés entre les deux pays, d’autres attaqués par les garde-côtes grecs, et l’Europe confie une mission d’envergure à l’agence Frontex pour porter « assistance » à la Grèce… mais quelle assistance est-elle prévue pour les migrant·e·s ?
« La nouvelle présidente de la Commission européenne a affirmé son soutien au gouvernement grec, et promet une aide de 700 millions d’euros fournie par les institutions de l’Union et les Etats membres, ainsi qu’un renfort de Frontex, l’agence européenne de sécurité des frontières extérieures, n’hésitant pas à parler de "bouclier de l’Europe" s’agissant de la Grèce. » 1
« La relation avec la Turquie met à rude épreuve la cohésion politique de l’Alliance atlantique » écrit la politiste Alexandra de Hoop Scheffer le 4 mars dans le journal Le Monde.2
« Dans la nuit du 2 au 3 mars, en effet 3, le gouvernement grec a demandé à l’Agence Frontex 4 de lancer une intervention rapide aux frontières sur ses frontières maritimes en mer Égée. (...)
L’Agence Frontex est contractuellement tenue d’apporter ce soutien sous cinq jours pour les officiers et dans les dix jours pour le matériel.
« Nous comptons lancer nos opérations le 12 mars », a déclaré par téléphone à l’AFP Ewa Moncure, porte-parole de Frontex. (...)
Lundi 2 mars, à 9h07, Ahmed Abu Emad, un migrant syrien a été tué par l’armée grecque, abattu à la gorge alors qu’il tentait de traverser la frontière à Ipsala – ville turque qui fait face à Kipa en Grèce – avec des centaines de migrants. » (...)
Par ailleurs, « selon l’enquête menée par le site d’investigation allemand Correctiv, la télévision ARD et les journalistes britanniques du Guardian, Frontex tolère et se rend elle-même coupable de violations des droits fondamentaux de réfugiés. Les journalistes se fondent sur des rapports internes qu’ils ont pu consulter.
À l’origine des révélations se trouvent deux personnes cherchant à savoir si Frontex essayait vraiment de sauver des vies en Méditerranée, et qui mènent depuis lors une bataille pour plus de transparence : le journaliste allemand Arne Semsrott et l’Espagnole Luisa Izuzquiza, une militante du droit à l’information. Ensemble, à l’automne 2017, ils ont déposé la première plainte contre Frontex pour manquement à l’obligation de transparence.
Car il existe “un terrible doute, écrit Correctiv, dont les sauveteurs en mer parlent à demi-mot et qui entame la conscience de l’Europe. » (...)
Nous sommes dès lors face à un durcissement de grande ampleur, alors que les migrant·e·s sont pris en tenaille entre la Syrie en guerre, la Turquie qui ouvre les frontières et la Grèce, à qui l’Europe impose de les maintenir à l’extérieur, par tous les moyens militaires à sa disposition.
C’est du fait de cet affrontement programmé avec des personnes susceptibles de bénéficier du droit d’asile dans les pays européens que de nombreuses ONG viennent de lancer cet appel de la plus extrême urgence au président Macron, l’invitant à respecter et faire respecter les conventions internationales signées et ratifiées par les pays européens et notamment la France.
Espérons que le mot “Fraternité” écrit en plus petits caractères que “Liberté” et “Égalité” lors du discours de Mulhouse, ne sera le signe d’aucune régression de la pensée française par le fait du président .
Lettre ouverte de plusieurs organisations à l’attention du Président de la République
Objet : Situation à la frontière entre la Grèce et la Turquie
Monsieur le Président,
Paris, le 4 mars 2020
Depuis plusieurs jours, un nombre important de personnes en grande détresse affluent aux frontières entre la Turquie et la Grèce. Elles sont prises au piège, coincées entre les deux lignes de frontières. Parmi elles, un nombre important de réfugié-e-s syrien-ne-s et une grande proportion de femmes et d’enfants.
L’instrumentalisation de ces populations par le Président turc ne fait aucun doute mais la réponse européenne ne peut être purement sécuritaire. Si les enjeux sont aussi diplomatiques en raison de la situation au nord de la Syrie et dans les pays avoisinants, ils sont avant tout humanitaires.
Nous ne pouvons voir se reproduire la situation de 2015 en pire. La « crise » qui se joue aux frontières de l’Union européenne concerne avant tout l’accueil des personnes réfugiées.
La réaction des autorités grecques et l’impuissance de l’Union européenne sont humainement catastrophiques et politiquement inacceptables. Les principes de base du droit international sont bafoués : blocage des frontières, suspension du droit d’asile, menace de renvoyer « si possible dans son pays d’origine » toute personne entrée sur le territoire grec sans procéder au moindre examen de situation.
Au moment où l’extrême droite attise plus que jamais les tensions, nous pensons qu’il y a urgence à tout faire pour que l’Union européenne et ses Etats membres fassent preuve d’une humanité à la hauteur des besoins. Elle a politiquement tout à perdre en refusant de voir la réalité des enjeux.
Le droit européen permet de faire face à cette situation : la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine est prévue spécifiquement pour les cas exceptionnels comme ce qui se passe aujourd’hui à la frontière gréco-turque. Ce mécanisme peut être enclenché sur demande de tout Etat membre. Cet Etat peut être la France.
Vous avez à de nombreuses reprises appelé à la solidarité européenne. C’est pourquoi les signataires de cette lettre vous demandent d’intervenir en ce sens et de tout faire pour que l’Union européenne prenne les mesures nécessaires pour accueillir dignement celles et ceux qui se présentent à ses frontières dans le respect des normes internationales, du droit européen et tout simplement des droits de l’Homme.
Vous comprendrez que cette démarche soit rendue publique.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.