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Terrestres
L’usure du monde ou les méfaits de l’industrie touristique
#biodiversite #tourisme #rechauffementclimatique
Article mis en ligne le 20 juillet 2023

Le tourisme est une composante majeure de nos existences. Secteur créateur d’emplois, il est vu, à toutes les échelles, comme un levier de développement essentiel. Comme après chaque crise depuis le XIXe siècle, il reprend sa marche en avant maintenant que la menace du COVID-19 s’estompe. Représentant 7 à 10% du PIB mondial et faisant partie des cinq premiers secteurs d’exportation au monde, le tourisme est un levier économique qui tire avec lui l’aviation, l’automobile, les mobilités électriques émergentes (dont les vélos à assistance électrique), le BTP, certains services (et même des services publics lorsque la survie d’hôpitaux ou d’agences postales est liée aux flux périodiques de visiteurs).

Le tourisme détermine l’équilibre de la balance des paiements de nombreux pays, comme la France, l’Espagne, la Grèce et bien des pays du Sud. En Occident, nos vies sont largement organisées autour de la possibilité de partir en vacances hors de chez soi : congés payés, vacances scolaires, RTT favorisent le tourisme et justifient en grande partie le labeur plus ou moins pénible et inutile du reste de l’année. On pourrait presque dire que le tourisme donne sens à l’existence de celles et ceux qui le pratiquent, sous toutes ses formes (des séjours en familles aux vacances aux Maldives, en passant par les week-ends au bord de la Loire ou à la montagne). Ce n’est pas rien.

Chaque année, toutefois, environ 40% de la population française, par exemple, ne part pas en « vacances » (c’est-à-dire plus de quatre nuits consécutives hors de chez soi, selon l’INSEE) et le taux monte à 53% parmi les bas revenus (les 20% les plus pauvres) contre 18% pour les plus riches. (...)

En retournant ces chiffres, on voit tout de même que le tourisme est une pratique certes inégalitaire mais largement partagée dans un pays riche comme la France. (...)

La France est par ailleurs la première destination touristique internationale en nombre d’arrivées sur le territoire, étrangers qui représentaient avant le Covid un tiers des nuitées du pays – ce qui est considérable. L’Europe est la première région réceptrice et émettrice du monde, devant les Etats-Unis. L’enrichissement global de la population mondiale assure, pour le moment, la croissance mécanique du tourisme. La Chine est par exemple devenue le premier pays émetteur de dépenses touristiques dans le monde, devant les Etats-Unis et l’Allemagne. Le tourisme international concernerait à présent quelque chose comme 7 % de la population mondiale. En résumé, le tourisme est un phénomène croissant, massif, mondial bien qu’inégalement réparti dans et entre les sociétés. (...)

Penser le futur et le changement de société nécessite donc de penser le tourisme : l’ouvrage Désastres touristiques de Henri Mora, militant impliqué dans la lutte victorieuse contre le Center Parc de Roybon (Isère), s’y emploie. L’auteur estime qu’une des conditions pour qu’une société cesse de détruire les écosystèmes est qu’elle se débarrasse du tourisme en tant qu’instrument tentaculaire de marchandisation du monde. Des traditions aux espèces en voie de disparition, l’extension du tourisme n’a effectivement pas de limite.

Face aux critiques unilatérales « du » tourisme, des appels bienvenus ont pu proposer de distinguer « des » tourismes, inégalement problématiques d’un point de vue écologique (...)

D’autres formes, plus « douces », plus lentes, plus locales, moins concentrées et pour le moment plus marginales existent toutefois : marche, vélo, chevaux, lignes secondaires de train et même autobus offrent des formes de mobilités touristiques dans lesquelles le parcours compte autant voire d’avantage que la ou les destinations, qu’il ne s’agit pas de rallier au plus vite, qui engagent donc une forme de ralentissement, même si elles peuvent se combiner avec des mobilités carbonées. Elles ont nécessairement un impact, qui deviendrait même problématique si elles se généralisaient, mais leur difficulté ou du moins le temps qu’elles demandent empêcheraient de fait de les massifier. Articulées à des offres de logement en hôtels, gîtes ou campings existants ou réhabilités, elles pourraient être moins gourmandes en surfaces urbanisées. (...)

La condition serait qu’elles se passent de grandes attractions dont l’archétype serait Disneyland (première attraction touristique payante de France avec plus de 9 millions de visiteurs en 2018 et 2019), de parkings et de résidences secondaires. Celles-ci ont partie liée avec l’essor automobile depuis les années 1950 et sont un facteur d’étalement urbain des destinations touristiques et donc d’artificialisation des sols et de hausse des prix immobiliers. (...)

Essentiel dans nos modes de vie, pourvoyeur d’emplois dans des zones défavorisées, mais fortement dépendant, globalement, de transports carbonés et de la consommation d’espaces, participant d’une marchandisation généralisée du monde, le tourisme a tout pour être un sujet central de l’écologie politique. Avec l’ouvrage d’Henri Mora, examinons les possibilités d’un autre tourisme, en commençant par faire un petit détour sur des débats qui ont agité le champ des études touristiques à l’université et limité, un temps, l’analyse critique du phénomène. (...)

A propos de Henri Mora, Désastres touristiques. Effets politiques, sociaux et environnementaux d’une industrie dévorante, Paris, L’échappée, 2022, 202 p.