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Mediapart
L’offensive de Macron contre nos libertés
Article mis en ligne le 20 novembre 2020

Depuis trois ans, l’exécutif s’attaque aux grandes lois fondatrices, sous couvert de sécurité et de défense des principes républicains. Pour les défenseurs des libertés publiques, « une menace pèse sur l’idée de démocratie elle-même ». (...)

Emmanuel Macron est visiblement inquiet pour nos libertés. D’ailleurs, dit-il dans un entretien fleuve récemment accordé à la revue en ligne Grand Continent, « le combat de notre génération en Europe, ce sera un combat pour nos libertés, parce qu’elles sont en train de basculer ». Ce combat, c’est aussi celui que continuent de mener, depuis trois ans, les défenseurs des libertés publiques et des droits individuels, contre la boulimie législative et liberticide d’un président de la République, qui va de renoncement en renoncement dans son pays. Tout en assurant, sur les scènes européenne et internationale, vouloir « défendre les Lumières face à l’obscurantisme ». (...)

Pour comprendre cette distorsion, il faut d’abord se replonger dans le livre Révolution (XO éditions), qu’Emmanuel Macron publiait fin 2016, au moment du lancement de sa campagne. « Un pays – et surtout pas le nôtre – n’a jamais surmonté une épreuve décisive en reniant les lois qui le fondent ni leur esprit, écrivait-il alors. On sait bien d’ailleurs que la diminution des libertés de tous, et de la dignité de chaque citoyen, n’a jamais provoqué nulle part d’accroissement de la sécurité. » Et de conclure : « Je tiens ces illusions pour profondément nuisibles, en elles-mêmes et parce qu’elles sont inefficaces. Au bout de ce chemin-là, il y a une France tout aussi exposée au risque, mais dont le visage se serait abîmé dans l’aventure. » (...)

Le visage de la France s’est effectivement abîmé depuis le début du quinquennat, comme en témoignent les débats en cours à l’Assemblée nationale sur le projet de loi « sécurité globale », ceux à venir sur le texte visant à lutter contre le « séparatisme » et la remise en cause de plusieurs principes fondamentaux. Contrairement aux arguments avancés par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, ceux qui s’inquiètent de cette situation ne sont pas de soi-disant « islamo-gauchistes » sombrant dans une prétendue « démagogie anti-flic ». Ils s’appellent François Sureau, Jean-Pierre Mignard, Claire Hédon, Henri Leclerc, Jacques Toubon, Adeline Hazan, Jean-Marie Delarue…
Ils sont avocats, Défenseur.e.s des droits, contrôleur général des lieux de privation de liberté. Certains ont soutenu Emmanuel Macron, d’autres ont été nommés par ses soins. Depuis le début du quinquennat, ils observent, atterrés, l’effritement de l’édifice légal des libertés.
(...)

De plus en plus perceptibles à mesure que la prochaine échéance présidentielle se rapproche, les atteintes aux libertés publiques et aux droits fondamentaux ont jalonné le mandat d’Emmanuel Macron depuis son préambule :

En 2017, les principales dispositions dérogatoires aux droits fondamentaux et aux libertés essentielles, qui caractérisaient l’état d’urgence, sont entrées dans le droit commun.

En 2018, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, estimait que « le demandeur d’asile [était] mal traité » par le projet de loi « asile et immigration » porté à l’époque par Gérard Collomb. (...)

En 2018, toujours, le président de la République a aussi contribué au recul du droit à l’information, en promouvant deux textes, ayant pour point commun de détricoter la loi du 29 juillet 1881 protégeant la liberté d’expression : celui sur le secret des affaires et celui sur les « fake news ».

En 2019, le chef de l’État rêvait encore de placer la presse sous tutelle en créant des « structures » qui auraient la charge de « s’assurer de sa neutralité ». Au même moment, sa majorité adoptait dans l’urgence la loi « anticasseurs », restreignant le droit de manifester

(...) En 2019, toujours, alors que la mobilisation des « gilets jaunes » perdurait et que les violences policières se multipliaient, le Parlement européen, puis la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, suivie de la haute-commissaire aux droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU), Michelle Bachelet, s’alarmaient tour à tour de l’« usage excessif de la force » pour réprimer la contestation sociale (...)

En 2020, et sans même parler de l’état d’urgence sanitaire et des mesures de restriction de libertés qui l’accompagnent, parfois uniques en Europe – c’est notamment le cas de l’attestation dérogatoire de déplacement –, l’exécutif a de nouveau trouvé toute une série de dispositifs remettant en cause des libertés fondamentales, pour certaines inscrites dans le marbre de la loi depuis plus d’un siècle. Liberté de manifester, liberté d’expression, liberté d’association, liberté religieuse, liberté de la presse, liberté académique… On ne compte plus le nombre de tentatives d’atteinte aux principes qui cimentent notre État de droit. (...)

En abandonnant le libéralisme politique au profit d’une doxa sécuritaire et conservatrice, Emmanuel Macron s’attaque à plusieurs des grandes lois républicaines fondatrices. Pour ne parler que du seul texte visant à « conforter les principes républicains », qui doit être présenté en conseil des ministres le 9 décembre, les dispositions qui sont prévues touchent donc à la loi de 1881 sur la liberté d’expression, mais aussi à celles de 1882, dites « lois Jules Ferry », qui, tout en instaurant une obligation scolaire pour chaque enfant âgé de 3 à 16 ans, offraient également la liberté que cet enseignement soit dispensé à domicile – ce que le projet de loi veut interdire.
Dans le même cadre, d’autres lois fondatrices seront également détricotées, à commencer par celle de 1905 sur la laïcité et celle de 1901 sur les associations. Pourtant, comme le soulignent plusieurs défenseurs des libertés fondamentales, rien dans les nouveaux dispositifs imaginés par l’exécutif n’est utile, intelligent ou innocent.
(...)

Tous ces dispositifs agrandissent le gouffre qui sépare la société de ses dirigeants. Un gouffre qu’Emmanuel Macron avait promis de combler, mais que ses politiques néolibérales ne pouvaient qu’élargir. Depuis trois ans, affirme Jean-Pierre Mignard, « l’échec des politiques de dialogue et de conciliation » est patent. Et il explique à lui seul les raisons pour lesquelles les propos tenus dans Révolution en 2016 s’apparentent, quatre ans plus tard, à de faux serments. (...)

C’est ce que décrivait aussi notre confrère Romaric Godin dans La Guerre sociale en France (La Découverte) : rompant avec les équilibres passés, l’État s’est rangé aux côtés du capital contre le travail, assumant la promotion d’un capitalisme autoritaire pour imposer ses vues. Le néolibéralisme, dans lequel Emmanuel Macron s’est jeté à corps perdu, est porteur en lui-même de dérives autoritaires, qui n’ont cessé de s’accentuer dès lors que le pouvoir a commencé à perdre pied. Très tôt dans le quinquennat, le storytelling mis en place par l’Élysée a donc volé en éclats. La ligne de partage tracée par le président de la République, entre les démocraties « libérales » et les régimes « illibéraux », s’est heurtée à la réalité des politiques mises en place au niveau national.
D’où ce décalage – Jean-Pierre Mignard parle de « schizophrénie française » – entre les discours portés sur la scène internationale, sur la défense des libertés et les dérives d’un « capitalisme devenu fou », et les dispositifs défendus en France. D’où aussi, poursuit l’avocat, cette incompréhension qui s’est installée entre Emmanuel Macron et bon nombre de pays « qui partagent, du moins dans leur Constitution, des valeurs communes aux nôtres »
(...)

Hormis quelques personnes qui savent pertinemment ce qu’elles font, la plupart des membres de son gouvernement et de sa majorité épousent cette même logique, balayant les nuances et la réflexion au nom de principes républicains vidés de leur substance. Ils prétendent désigner « les vrais journalistes » qui « donnent de la vraie information ». Ils ne comprennent pas pourquoi seul Bernard-Henri Lévy a récemment volé au secours du président de la République. Ils se braquent face à une jeunesse qui ne se résout pas au déni de réalité qu’on aimerait lui imposer. Ils suspendent des libertés fondamentales, comme l’a souligné le chef de file de La France insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon, « le sourire aux lèvres ». Et l’air de rien