
En Ariège un extraordinaire réseau de solidarité s’est formé pour protéger et aider les déboutés du droit d’asile. Dans ce rude territoire, des femmes et des hommes ravivent avec humanité notre devise républicaine, fraternité en tête.
C’était un matin d’hiver. On a frappé à la porte de la vieille bâtisse de Michel, un refuge depuis 1870, érigé par ses arrière grands-parents. La police. Le vieil homme, un colosse au sourire doux, a tout de suite compris. Ils venaient chercher la famille Mehmeti, déboutée de l’asile, qui vivait chez lui depuis bientôt un an et demi, après avoir dormi sous une tente. « Je n’avais pas le droit de les accompagner. Pour me rassurer, les flics m’avaient dit : ne vous inquiétez pas, de toute manière ils peuvent refuser de monter dans l’avion », se souvient, très ému, ce natif de Pamiers, la ville la plus peuplée d’Ariège avec ses 15 700 habitants. Mais il n’en a rien été.
Selon le récit que lui a fait la famille, « on les a emmené signer des papiers et pendant ce temps, les forces de l’ordre ont conduit les trois enfants dans l’avion ». Les parents n’avaient plus d’autre choix que de les suivre. Ce 27 janvier 2020, neuf familles albanaises dont 15 enfants – certains embarqués devant leur école – ont été arrêtées dans toute l’Occitanie, puis expulsées le lendemain. La préfecture n’a pas souhaité réagir.
« Quand ils sont partis ça a été une amputation »
« S’ils m’avaient dit que c’était une rafle, je ne les aurais pas laissé partir. Il aurait fallu qu’ils me tuent ! », jure cet ancien directeur de travaux, 76 ans. « Quand ils sont partis ça a été une amputation, pendant trois mois je ne savais pas où j’étais », se rappelle celui que les enfants Mehmeti appelaient « papy ». Aujourd’hui, il abrite sous son toit une autre famille (...)
Dans ce département rural, montagneux et peu peuplé, autrefois refuge pour les républicains espagnols fuyant le franquisme, les obligations de quitter le territoire français (OQTF) délivrées par la préfecture n’ont jamais cessé. Mais depuis 2017, l’État expulse. Malgré les efforts d’intégration, les liens tissés en Ariège, l’apprentissage du français, l’engagement bénévole ou les enfants scolarisés. A l’image des Mehmeti, qui étaient arrivés en 2016. De la famille Hysa, quelques mois plus tard. Ou d’Anthony Tra bi tra, un jeune ivoirien, joueur du FC Foix, expulsé en octobre 2019. À chaque fois, une cinquantaine de personnes au moins se sont rassemblées, plusieurs fois par mois, pour les soutenir. Mais cela n’a pas suffi.
De multiples réseaux de solidarité à travers l’Ariège
Pour faire face à la répression accrue de l’État, les collectifs et associations de soutien aux réfugiés se sont multipliés à travers l’Ariège depuis 2015, et de multiples réseaux de solidarité se sont tissés. Plus d’une quarantaine de collectifs interviennent auprès des migrants aujourd’hui. (...)
« On essaye de faire du "sur mesure" pour chaque famille », souligne Mireille Becchio, trésorière très active de l’association et médecin à la retraite. « On ne s’interdit pas d’en faire plus, de les inviter chez nous, de les aimer, confie Fabien Paul, responsable d’Emmaüs Ariège et président de 100 pour un toit. Ma fille a par exemple été invitée à l’anniversaire de l’une des familles, et réciproquement ».
Trois familles ont déjà obtenu leurs papiers à leurs côtés. (...)
« On essaye de faire du "sur mesure" pour chaque famille », souligne Mireille Becchio, trésorière très active de l’association et médecin à la retraite. « On ne s’interdit pas d’en faire plus, de les inviter chez nous, de les aimer, confie Fabien Paul, responsable d’Emmaüs Ariège et président de 100 pour un toit. Ma fille a par exemple été invitée à l’anniversaire de l’une des familles, et réciproquement ».
Trois familles ont déjà obtenu leurs papiers à leurs côtés. (...)
« Heureux de pouvoir enfin faire mon métier »
Dans son logement social financé pour quelques semaines encore par l’association, assis sur son canapé entouré de ses filles, Valdrin se dit « heureux de pouvoir enfin faire [son] métier ». Il est maçon. Ça tombe bien, dans le BTP la main d’œuvre manque dans la région. Depuis deux ans, il avait une promesse d’embauche, sésame indispensable pour une demande de titre de séjour « exceptionnelle ». (...)
Pendant trois ans, ce père de 35 ans a comblé ce vide en travaillant bénévolement chez Emmaüs et la Croix-Rouge, où il a pratiqué chaque jour le français et a tissé des liens.
Pendant le premier confinement, lui et sa compagne, en plus d’intégrer la réserve citoyenne, ont passé leur journée à livrer des colis alimentaires. (...)
D’après les militants, ce dévouement a joué un rôle déterminant dans sa régularisation. Le maire, les associations et les professeurs des enfants ont écrit des lettres de soutien, ajoutées au solide dossier exigé par la préfecture. (...)
D’après les militants, ce dévouement a joué un rôle déterminant dans sa régularisation. Le maire, les associations et les professeurs des enfants ont écrit des lettres de soutien, ajoutées au solide dossier exigé par la préfecture. (...)
« On a réussi a réunir des chasseurs et des babacools »
À une soixante de kilomètres de Pamiers rayonne Massat et ses 700 habitants. Enclavée au carrefour de sept vallées et point de rencontre des hippies des années 1970 et des néo-ruraux, cette bourgade pyrénéenne s’est mobilisée massivement pour protéger Pierre Kilongo et ses trois enfants, exilés congolais un temps menacés d’expulsion, aujourd’hui en sursis, qui habitent le village depuis bientôt quatre ans.
« On a réussi a réunir chaque mardi devant la gendarmerie (Pierre Kilongo devait y pointer chaque semaine, ndlr) des gens qui ne se parlaient pas du tout, des chasseurs, des terriens avec des babacools et des "planteurs de cannabis" comme ils les appellent », se réjouit Albert Duroux, proche de la famille et chauffeur de bus à la retraite qui a affrété et rempli un car de soutien lorsque la famille congolaise comparaissait au tribunal administratif de Toulouse pour contester son OQTF, en 2019. La mesure d’expulsion a fini par être annulée par la justice à l’automne 2019 en raison de l’état de santé dégradé de Pierre Kilongo. Aujourd’hui logé par la mairie, il attend son passeport congolais. Autour de lui, une association qui prend en charge tous ses frais s’est créée, et 260 personnes le suivent régulièrement.
« Ici, c’est facile de mobiliser, il suffit qu’il y ait le mot "interdit" pour faire réagir les gens », constate Albert Duroux, militant depuis huit ans qui aime « poser des tables, parler aux gens dans la rue, vendre des jus de pommes pour récolter des fonds », et plus que tout, « rassembler ». (...)
« Quand on a été déboutés on nous demandait : est-ce que vous seriez prêts à aller vous cacher en montagne ? On se préparait, on se voyait déjà comme des fugitifs, car il fallait trouver une solution pour ne pas être renvoyés », raconte le père de famille, passé par la vallée de la Roya avant d’arriver dans le Couserans en 2017. Dans la vallée escarpée du Biros, avant la création de l’association, plusieurs habitants se sont relayés pour héberger des exilés plusieurs mois durant.
« En Ariège il y a beaucoup de relations à longue distance. Ça passe par deux ou trois personnes et on arrive tout de suite à loger quelqu’un, à trouver une solution dans des fermes paumées », explique Christophe Imbert, géographe coauteur avec le directeur de recherche au CNRS William Berthomière de l’étude « Le refuge ariégeois : atout et diversité d’une topographie de l’accueil », publiée en novembre 2020.
« Des opportunités pour des territoires comme l’Ariège »
Pendant deux ans, Mamadou Fofana, chauffeur de poids lourds dans son pays, ne pouvait pas travailler, si ce n’est en tant que bénévole. « C’était très compliqué car je ne suis pas habitué à m’asseoir tranquille comme ça, je n’ai pas l’habitude d’être dans une situation où c’est moi qui tends la main », confie-t-il, lui qui a suivi des formations d’agent de sécurité et d’agent de sécurité incendie, mais qui doit aujourd’hui se contenter de courtes missions d’intérim, faute d’emploi stable. (...)
Léa, 30 ans, qui enseigne le FLE au sein de l’association, constate que « l’accès au travail est un peu plus compliqué qu’en ville, mais qu’en terme humain, c’est mieux ici, car il y a un tissu de solidarité important, et qu’il est plus facile d’accéder aux aides, de parler à des gens, ou d’avoir des rendez-vous pour les démarches administratives ».
L’enjeu est de taille pour l’Ariège comme pour d’autres régions rurales, sujettes au dépeuplement et au vieillissement de la population. (...)