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Mediapart
« L’impasse de la gauche a été coproduite par la Primaire populaire et les partis »
Article mis en ligne le 2 février 2022
dernière modification le 1er février 2022

Au lendemain des résultats de la Primaire populaire, entretien avec le politiste Guillaume Gourgues. Sévère avec la démarche, il pointe également le « vide » laissé par les partis, qui ne sont plus en phase avec certaines fractions de leur électorat le plus mobilisé, sans parler des milieux populaires.

(...) Le politiste a répondu aux questions de Mediapart, en affirmant deux convictions parallèles. D’un côté, les initiatives telles que la Primaire populaire doivent dépasser leur focalisation sur les procédures, dont l’importance ne saurait primer sur celle du contenu programmatique et de l’ancrage de terrain. D’un autre côté, il serait naïf de faire confiance aux partis pour penser leur propre transformation. (...)

Guillaume Gourgues : Le jugement majoritaire est porté depuis plusieurs années par une nébuleuse d’activistes de la démocratie, qui viennent de l’entrepreneuriat social, du milieu des civic tech, des listes participatives à des scrutins locaux… Le dispositif est intéressant, mais me pose deux problèmes dans le cas de la Primaire populaire.

D’abord, la mise en avant de ce mode de scrutin a pu brouiller le message de la démarche. La Primaire populaire a été présentée comme une forme de participation à la vie politique dans son ensemble, mais aussi comme l’occasion de défendre une procédure démocratique particulière. Or, celle-ci rendait compliquée, à mon sens, l’appréhension de l’initiative au-delà d’un sérail intello déjà convaincu par l’importance de ce genre d’innovations.

Ensuite, pour être complètement convaincante, la démarche aurait dû aller jusqu’au bout. À ce stade, on ne sait pas grand-chose du détail des résultats. Aucune donnée sociodémographique n’a par exemple été communiquée, ne serait-ce que l’âge ou le lieu de résidence des votants. On ne sait pas à qui on a affaire, encore moins que lors de primaires ouvertes organisées par des partis, où l’on a tout de même une idée de la sociologie des sympathisants concernés. (...)

le seul jeu de la procédure ne change rien à la nature profonde du système politique. Celui-ci reste dominé par l’affrontement entre grands leaders partisans et professionnels de la politique établis depuis des années. Il est frappant que ce soient de telles figures qui occupent les quatre premières places du classement de la Primaire populaire, quand les deux candidates authentiquement citoyennes ont été reléguées à sa toute fin.

Mais convenons que si nous en sommes là, c’est que depuis 2017, les partis établis ont refusé d’écouter ce qu’il se passait dans la société, d’ouvrir leurs oreilles et leur porte autrement qu’à travers des cooptations ponctuelles de personnalités. J’en veux pour preuves trois signaux importants, dont certains sont antérieurs à la Primaire populaire. (...)

Premièrement, les partis ont considéré comme un épiphénomène l’émergence de listes participatives aux élections municipales, qui ont pourtant testé des modes alternatifs de sélection des candidats et de confection du programme, et ont parfois remporté des succès comme à Poitiers.

Deuxièmement, aucun d’entre eux ne s’est vraiment intéressé aux cahiers de doléances exprimées dans le cadre du « grand débat », dans la foulée de la mobilisation des « gilets jaunes ». Nous sommes un certain nombre à réclamer aujourd’hui qu’ils soient davantage publicisés : on parle d’un des mouvements les plus importants et inédits de ces dernières années !

Troisièmement, les partis n’ont pas sérieusement investi les discussions sur le socle commun programmatique de la Primaire populaire, qui est très vague. Et pour cause : hormis La France insoumise, ils ne se rappellent leur fonction programmatique qu’à la veille des élections. (...)

De fait, les milieux populaires se retrouvent plus dans un style d’engagement qui donne davantage d’importance au travail de propagande et à la confrontation directe avec le camp adverse, qu’à des techniques participatives sophistiquées.

Remarquons que ce schisme est surtout repérable à gauche. À droite, personne ne se querelle vraiment à propos de cela, c’est largement un militantisme « à l’ancienne » qui prévaut, et vous ne trouverez pas grand monde pour vouloir « co-construire » des plateformes politiques de manière inclusive.

Je pense que la Primaire populaire est consciente de sa faiblesse en ce qui concerne le contact sur le terrain. Dimanche soir, dans la foulée de l’annonce des résultats, ce n’est pas un hasard si ses animateurs se sont efforcés d’expliquer qu’ils avaient des bénévoles, des comités locaux… (...)

La démarche ne peut se prévaloir de représenter les « citoyens » ou le « peuple », c’est un groupe d’intérêt situé dans l’espace social. (...)

D’un autre côté, les partis existants n’ont pas non plus de quoi pavoiser, ni de quoi se la jouer « prolo » face aux « bourgeois » de la Primaire populaire. En 2017, La France insoumise a bien attiré des électeurs de milieux populaires, mais ceux-ci restent peu présents dans sa base militante, et le parti manque de relais pour s’adresser à eux. Quand Jean-Luc Mélenchon va chez Cyril Hanouna à la télévision, c’est parce qu’il sait bien qu’il n’est pas facilement audible des franges les plus éloignées de la politique. Partis et Primaire populaire : tout ce petit monde se ressemble beaucoup, leurs membres n’occupent pas des points de l’espace social extrêmement distants. (...)

Maintenant, que peut-on attendre de Christiane Taubira, qui a bénéficié d’un dispositif lui permettant de candidater sans réel programme ? Il n’est même pas certain que son socle programmatique soit ou restera celui de la Primaire populaire. Quant à sa promesse d’appeler Yannick Jadot ou Jean-Luc Mélenchon, que peut-elle leur dire qu’ils ne savent déjà ? (...)

. L’enjeu mériterait des états généraux mettant à plat le problème partisan qui est central à gauche. On ne peut laisser aux partis le soin de se réinventer et d’échapper à la « loi d’airain de l’oligarchie », déjà mise en avant au début du siècle dernier et dont les générations actuelles ont plus que ras-le-bol. Il faut qu’une structure collective incite les partis à se faire l’écho des préoccupations et des revendications qui émergent dans la société, puisqu’ils n’ont visiblement plus assez d’antennes pour cela, y compris au sein des populations politisées et historiquement acquises. Il faut également remettre sur la table les dégâts d’une professionnalisation à outrance de la vie politique.

Tout cela s’inventera en fonction d’une configuration politique qui sera propre à la France, mais l’exemple chilien est encourageant. On retrouve au gouvernement des figures jeunes, venues de l’activisme et ayant également joué le jeu des partis et de la compétition électorale.

À cet égard, je vois bien l’attrait du Parlement de l’Union populaire lancé autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon : les seuls qui ont réagi avec un texte argumenté et programmatique aux propos de Macron sur l’université, par exemple, sont des personnalités engagées dans ce Parlement, là où les autres partis en sont restés à des protestations très générales. Mais on voit bien la fragilité d’une construction dépendante d’un candidat et d’un mouvement dont la démocratie interne est extrêmement critiquable. (...)