
Présentation du livre par son auteure :
La crise écologique empire, et ça se voit à l’œil nu. L’extinction massive des espèces, les tempêtes dévastatrices, les incendies incontrôlables sont désormais devenus une norme que certains favorisent et que nous subissons, le cœur à vif et les bras ballants. Face à l’ampleur de la tâche, comment sortir de l’hébétude ? Comment, pour reprendre le titre d’un ouvrage désormais classique de l’écologie politique, Agir dans un monde incertain ? [1] Faut-il croire que les efforts sont vains, que l’apocalypse est aux portes, que la chute vers l’abîme est irréversible ?
Pour que la réponse à ces questionnements dramatiques puisse pencher vers le non, il faut mettre en œuvre tous les moyens contribuant à rendre l’action efficace. Dans cet objectif, les sciences sociales se doivent d’identifier ce qui est fait, et ce qui reste à faire. C’est le projet de l’ouvrage De la contre-culture à la loi du marché. Fondé sur les résultats d’une enquête sociologique, cet essai cherche à baliser les contours d’un fait social, défini comme la « santé naturelle ». Ce phénomène représente une entrée parmi d’autres du vaste champ de l’écologie. Elle concerne un nombre croissant de nos contemporains, qui se retrouvent sans le savoir autour d’actions et d’idées croisant prévention et consommation.
Derrière cette appellation énigmatique, on décèle un ensemble de pratiques, à commencer par l’alimentation, clé de voûte de la santé naturelle. Souvent bio, privilégiant parfois les circuits courts, à tendance végétarienne ou ouvertement flexivore, ce qui importe ce n’est pas tant la constance des chemins qu’elle emprunte que le rôle central qu’elle joue, dans la prévention comme dans le sens que les personnes donnent à leur mode de consommation. (...)
Toutes ces manières de faire et ces manières de voir semblent aller dans le sens d’une plus grande autonomie des personnes dans des choix qui relèvent, apparemment du privé. Mais comment peut-on agir de manière autonome dans une société chaque jour plus néolibérale ? Car la santé naturelle, même lorsqu’elle se présente comme une entreprise personnelle, n’est pas un fait isolé. Il en découle une éthique, une façon d’être au monde, éminemment collective. Fixant les normes du bien et du mal, elle est matérialisée dans des lieux – les magasins bio, le salon Marjolaine -, des médias, des controverses. Comme tous les faits sociaux, elle s’inscrit dans une tension entre les classes sociales et dans une histoire politique.
Cette histoire se raconte comme une évolution vers la marchandisation. (...)
la santé naturelle dans sa forme actuelle peine à lutter contre les mécanismes à grande échelle de l’agriculture intensive et de la grande distribution. Le moment de la contre-culture et son évolution vers la santé naturelle ne représentent que des séquences parmi d’autres d’un mode d’action pourtant classique, le réformisme. « Sois le changement que tu veux voir dans le monde »…la fameuse formule de Gandhi synthétisait déjà une modalité de cette philosophie. Mais son action était par ailleurs radicale, collective et puissante. Alors que le petit, le local, l’exemple, le colibri, ne se pensent pas comme associés à une volonté de lutte globale. Serons-nous capables de répondre aux défis majeurs de l’environnement de manière engagée et collective ?