
Il est tentant de croire que la crise européenne des migrants et des réfugiés est largement derrière nous et que l’accord désespéré conclu par l’UE avec la Turquie a eu les effets escomptés. Les images montrant des dizaines de bateaux débarquant des réfugiés sur les côtes grecques ou des migrants traversant à pied les Balkans ont en effet largement disparu de nos écrans de télévision.
Certes, des bateaux continuent d’arriver en Italie, mais les chiffres globaux pour les arrivées en 2016 sont beaucoup plus bas que ceux de l’an dernier. Près de 300 000 arrivées par la mer ont en effet été enregistrées jusqu’à présent contre 1,1 million pendant tout 2015.
Or les arrivées par la mer ne sont que la pointe de l’iceberg, la partie la plus visible du problème. Un nouveau rapport publié le 16 septembre par l’Institut de développement d’outre-mer (Overseas Development Institute, ODI) fait la lumière sur les voies moins visibles qu’empruntent les demandeurs d’asile pour atteindre l’Europe. Le document révèle en outre que les milliards d’euros qui sont dépensés pour ériger des clôtures ainsi que les accords de coopération conclus avec les pays tiers ont peu d’impacts réels sur les déplacements de population.
Les auteurs du rapport se sont intéressés aux arrivées de migrants et de réfugiés enregistrées en Italie et en Grèce au cours des deux dernières années – ce qu’ils décrivent comme les arrivées « déclarées », c’est-à-dire celles qui sont suivies et quantifiées par des organisations comme le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Ils ont ensuite comparé ces chiffres au nombre total de demandes d’asile déposées dans l’ensemble de l’UE pendant la même période. Ils ont découvert qu’il y avait une différence énorme entre les deux chiffres, même lorsqu’ils tenaient compte des arriérés de demandes avec lesquels certains pays doivent composer.
En 2015, le HCR et l’OIM ont enregistré environ 1,1 million de nouvelles arrivées alors que 1,7 million de demandes d’asile ont été déposées, ce qui laisse supposer que 600 000 personnes ont réussi à pénétrer sur le territoire européen par des moyens clandestins. (...)
Le rapport montre qu’au cours des sept dernières années au moins, la majorité des demandeurs d’asile arrivant en Europe ont utilisé des moyens clandestins. Certains ont emprunté la voie terrestre, dissimulés dans des véhicules ; d’autres sont arrivés dans l’UE par avion avec de faux papiers ; d’autres encore sont entrés sur le territoire européen avec un visa valide et ont ensuite demandé l’asile.
Ces voies clandestines ont un coût : les migrants doivent souvent payer pour obtenir de faux documents ou verser des pots-de-vin aux gardes-frontières. (...)
Moins d’un tiers venaient du Moyen-Orient et, parmi eux, seulement 33 pour cent étaient des ressortissants syriens. (...)
« Même si on trouvait une solution à la crise en Syrie, tout ce que nous suggèrent ces chiffres, en termes de tendance générale, c’est une hausse régulière [des demandes d’asile]. »
Des dépenses considérables
La deuxième partie du rapport de l’ODI examine les coûts des mesures dissuasives appliquées sur le territoire de l’UE – l’érection de clôtures, mais aussi le contrôle et la surveillance des frontières – et à l’extérieur de l’Europe, notamment par le financement des mesures de contrôle des migrations externes et des programmes s’attaquant aux causes profondes de la migration, notamment le manque d’emplois et l’absence de développement.
La construction de clôtures s’est fortement accélérée en Europe au cours de la dernière année. (...)
toutes les preuves suggèrent qu’à court terme du moins, les migrations augmentent lorsque les pays pauvres connaissent un développement et que leurs habitants ont davantage de ressources à leur disposition pour voyager et ont plus envie de le faire.
Selon les auteurs du rapport, les échecs répétés des interventions unilatérales mises en place par l’Europe à court terme pour réagir à la crise des réfugiés ont mis en lumière le besoin urgent d’une action multilatérale. Ce n’est pas une coïncidence si le rapport est publié juste avant les sommets de haut niveau de New York.
« Sans une véritable coopération internationale et régionale, l’investissement dans les mesures de sécurité et de contrôle aux frontières est un puits sans fond », indique le rapport.
Ce qui est plus inquiétant encore, ce sont les répercussions à plus grande échelle qu’il pourrait y avoir si d’autres pays décident d’imiter l’approche européenne en adoptant leurs propres politiques de dissuasion.
« C’est très risqué, car si d’autres pays se lancent eux aussi dans la course, cela pourrait entraîner des flux migratoires encore plus importants vers l’Europe », a dit Mme Foresti. (...)
La fermeture forcée des camps kényans de Dadaab, qui accueillent plus de 300 000 réfugiés somaliens, par exemple, pourrait donner lieu à un vaste mouvement de réfugiés vers l’Europe. (...)