
La « gelée noire » de la fin du mois d’avril a durement frappé le vignoble du Diois, exacerbant les difficultés des paysans. Dans cette partie de la Drôme comme ailleurs en France, le métier de la terre ne permet plus de vivre décemment, déplore notre chroniqueuse.
(...) Cette année, les saints de glace étaient annoncés pour les 11, 12 et 13 mai. Mais c’est dès fin avril qu’est survenue la « gelée noire », une arrivée de masse d’air froid et sec à une température de -7 à -9 °C, associée à un vent hivernal. Celle-ci a anéanti les vignes de notre fameuse Clairette. Toutes les communes ont été touchées ici, avec des pertes pour certains vignerons grimpant à 95 % ; c’est en définitive plus de la moitié de la récolte qui va être perdue. On n’avait pas vu ça depuis plus de 25 ans et ce, ironie cruelle, à quelques jours de l’inauguration du Festival des espiègleries dédié à la clairette de Die. (...)
Selon le recensement agricole de 2010, dans le Diois, 100 exploitations ont disparu en 10 ans (presque 1/5), et le nombre de brebis est passé de 25.000 à 20.000. Sur le marché de Die, il n’y a présents à l’année en producteurs locaux que 2 boulangers, 6 fromagers de brebis, 3 maraîchers, 1 éleveuse de truites, 1 de canards, 1 de porcs, 2 de poulets, 1 vendeur d’œufs, 3 d’huiles essentielles, miel ou noix.
On pourrait donc imaginer que nos producteurs sont submergés de demande, et que les étals du marché de Die sont pris d’assaut. De fait, ils le sont. Et pourtant, les paysans ne s’en sortent pas. On pourrait imaginer aussi que, face à un tel potentiel, on croule sous les candidats à l’installation, ou que ça se bouscule au portillon pour reprendre les fermes des agriculteurs qui arrivent à l’âge d’une retraite bien méritée. Non plus. Alors que se passe-t-il qui ne tourne pas rond ? (...)
pourquoi la France a-t-elle perdu la moitié de ses « exploitations » en 25 ans ? (...)
On laisse la grande distribution se payer sur le dos des producteurs
C’est pourtant important, l’alimentation, non ? Toutes ces choses qu’on ingère, qu’on avale, qu’on glisse dans notre corps, plusieurs fois par jour, et qui vont se transformer en cellules, peau et sang… Qui peuvent vous empoisonner, vous rendre malade ou, au contraire, contribuer à vous garder en bonne santé. La Sécurité sociale est malade ? Choisissons la prévention par une alimentation de qualité : ça serait rentable !
Ça devrait être important. Ça devrait être prioritaire. Et non.
Sur 500 hectares échangés chaque année dans le Diois, 300 sont achetés par des non-agriculteurs. La majeure partie des acquisitions publiques concerne de l’artificialisation : entre 1999 et 2010, les surfaces artificialisées ont augmenté de 116 hectares dans le Diois. Et puis la PAC continue à verser des aides à l’hectare, sans se soucier des modes de production. On continue à bétonner des terres arables à Notre-Dame-des-Landes, sur le tracé de l’autoroute A45, du Lyon-Turin, pour des bulles tropicales de Center Parcs, des routes et des parkings Vinci allant jusqu’à des gares TGV dont on n’a pas besoin… (...)
La région Auvergne-Rhône-Alpes lance sa marque « La Région du goût » sans aucun critère de qualité, refuse d’introduire l’agriculture biologique dans les cantines de ses lycées et s’acharne à saper les aides des réseaux historiques de l’agriculture paysanne et écologique. Elle continue à confier les points accueil pour les jeunes qui voudraient s’installer à des chambres départementales de l’agriculture qui n’y voient, pour la plupart, qu’une filière comme une autre à rentabiliser. Et on laisse la grande distribution se payer sur le dos des producteurs, on continue à envoyer abattre les porcs bretons en Allemagne pendant qu’on exporte nos poulets européens subventionnés vers des pays dits « du Sud », qu’on a forcés à cultiver des choses qui s’exportent au nom de la balance commerciale, au détriment de l’alimentation locale. Les responsables politiques, à quelques exceptions près, continuent à pleurer des larmes de crocodile sur les suicides d’agriculteurs, se gargarisent de ruralité sur le terrain, avant de se dépêcher d’oublier et d’aller se plier aux injonctions de Bruxelles sur l’austérité et la « libre concurrence » [1], et préfèrent flatter les grands lobbies de l’industrie agroalimentaire que les petits paysans.
Des alternatives se construisent et se révèlent efficaces (...)
On pourrait nourrir tout le Diois, on pourrait nourrir tout le pays, en laissant les paysans du Sud tranquilles de produire ce dont ils ont besoin, en assurant un revenu décent aux paysans d’ici, en développant les circuits courts et la vente directe, en soutenant l’agriculture paysanne, en protégeant le foncier, en encadrant les marges de la grande distribution, en enseignant les pratiques écologiques dans les lycées agricoles, en redonnant envie… On pourrait.