
La réforme de l’Etat ne semble envisagée qu’à travers la démarche néolibérale des privatisations. Face à l’échec d’un appareil d’Etat vertical, centralisé et bureaucratique, la gauche se doit d’innover.
Quand pendant des mois l’Etat ignore la jungle de Calais, quand nos prisons, restent surpeuplées, quand 150 000 « décrocheurs » abandonnent chaque année le système scolaire, l’invocation incantatoire tant à gauche qu’à droite d’une république au-dessus de tout soupçon masque-t-elle l’hypocrisie ou la schizophrénie ? République, Etat, nation sont des notions à la fois distinctes et imbriquées. Celle de l’Etat elle-même est polysémique, désignant tantôt l’ensemble de la sphère du politique ou un pouvoir spécifique, tantôt le système administratif qui sous-tend le pouvoir. La question est alors : par-delà l’invocation l’Etat administratif peut-il symboliser la république ?
Cet Etat est modelé par une centralisation hors normes en Europe, mais sa réforme n’est envisagée que dans une démarche néolibérale de privatisations. La gauche ne se penche pas sur une administration dont les linéaments et la méthode remontent à la Constitution de l’An VIII (1799). Le débat de décembre 2015 sur les régions l’a encore montré avec l’ajout de superpréfets et de superrecteurs au système en place. Pusillanimité, culte des « masses de granit » bonapartistes, néojacobinisme impénitent identifiant la nation, l’Etat, la république et l’administration ? A la Libération, le programme du CNR a prescrit le retour à la nation des grands moyens de production et prévoyait un plan d’Etat pour intensifier la production nationale. De Gaulle lui-même, en 1945 comme en 1958, assignait à l’Etat, à l’administration, le soin du bien commun. Ce que nous appelons le modèle français s’est alors édifié, avec l’appui des appareils syndicaux et de hauts fonctionnaires dynamiques, à l’ombre des illusions communistes sur l’URSS. Les années 60-70 ont vu les tendances autogestionnaires de la CFDT, les interrogations du Club Jean-Moulin sur l’Etat et le citoyen. Mais notre administration napoléonienne a résisté ! Maintenue après le Second Empire et la Commune par les fondateurs de la IIIe République, reconduit au lendemain de Vichy après une épuration sans gloire, l’appareil d’Etat est demeuré vertical, hiérarchisé, normatif, bureaucratique.
L’Education nationale, qui devrait être le socle de la créativité sociale est au contraire l’exemple d’une machine à produire circulaires et décrets qui font le charme de son Bulletin officiel (BOEN). (...)
L’idéologie de référence de l’Education nationale est le principe d’uniformité. Revendiquée par l’opinion « éclairée », l’uniformité est traditionnellement défendue par un certain nombre d’organisations syndicales au nom de l’égalité. Mais l’école républicaine n’a jamais été égalitaire.(...)
Le politologue américain Ezra Suleiman questionne la relation entre une architecture administrative pléthorique et le mode de recrutement d’une élite dont l’endogamie ne se retrouve dans aucun autre pays. Sous les lambris, la notion de service peut se dissoudre dans un sentiment de supériorité (1). Le pantouflage en toute impunité vers les grandes entreprises conforte la bonne conscience. De surcroît le système n’est guère incitatif à l’innovation.(...)
L’exercice d’un pouvoir conféré par un statut prestigieux ou par la connivence des appareils politiques signe une république d’en haut, une république des cabinets ministériels, des conseillers élyséens, éloignée d’un réel manipulé par les experts de la communication.
Une réforme de gauche ne devrait pas être une comptabilisation abstraite mais un réaménagement quotidien des services publics régaliens et territoriaux en fonction de leur proximité des gens, à l’écoute de leurs problèmes. Un langage accessible à tous se substituerait à la novlangue des circulaires, décrets et règlements de l’Etat administratif. Il serait l’outil de la gouvernance d’un vivant complexe et de la reconnaissance de citoyens aptes à l’initiative, acteurs de leur présent. (...)