
Héritées de la collectivisation, les fermes de l’ex-Allemagne de l’Est disparaissent du giron de l’État, qui les vend à des entreprises dont le but est essentiellement spéculatif. Et qui stimulent une agriculture industrielle.
A 28 ans, Vivian Böllersen est une jeune agricultrice bio comblée. La Berlinoise réalise son rêve : relancer en Allemagne la culture de la noix, largement abandonnée au XXe siècle. « Nous avons planté 170 noyers de trente variétés différentes, explique-t-elle en bordure de son champ. Les arbres devraient commencer à porter leurs premiers fruits d’ici trois ans. » Et assurer ainsi un revenu décent à Vivian, grâce à la vente directe.
Sa bonne humeur et sa détermination feraient presque oublier le parcours du combattant qu’a vécu la jeune femme face à l’appétit vorace des mastodontes du secteur. Si Vivian exploite aujourd’hui quatre hectares au nord de Berlin, c’est uniquement grâce à l’aide des Ökonauten, les « éconautes » en français. « Sans eux, je n’aurais jamais pu planter ces arbres », témoigne-t-elle. (...)
Créée en 2015, cette coopérative citoyenne achète des terres dans le Land du Brandebourg, la région rurale qui entoure Berlin. Elle les loue ensuite à vie à de petits paysans pour un bail modique. L’objectif : lutter contre le « landgrabbing », l’accaparement des terres qui fait rage dans toute l’ancienne Allemagne de l’Est. À coups de centaines de milliers, voire de millions d’euros, de grandes entreprises achètent massivement les terrains disponibles. « On peut même parler de “farmgrabbing”, précise Willi Lehnert, cofondateur des Ökonauten et membre de l’association de défense des jeunes agriculteurs Bündnis Junge Landwirtschaft (BJL). Ce ne sont pas seulement les terres, mais les exploitations tout entières que rachètent les investisseurs. Cela conduit à une concentration de l’agriculture entre quelques mains. »
Les prix ont augmenté de 300 % depuis 2007
Roumanie, Pologne, Hongrie… : l’accaparement des terres touche la plupart des pays de l’ancien bloc soviétique. Les immenses coopératives nées de la collectivisation sont devenues le terrain de jeu de grands groupes, (...)
Écrasées par la concurrence, de nombreuses exploitations ont jeté l’éponge : leur nombre a été divisé par presque deux en dix ans dans le Brandebourg (...)
Ces grandes entreprises donnent priorité à l’agriculture conventionnelle d’exportation et à la production de biogaz. Un système très rentable grâce aux subventions européennes payées à l’hectare : la société KTG Agrar touche par exemple 12 millions d’euros d’aides directes chaque année, selon la députée européenne écologiste Maria Heubuch.
« Considérée comme un investissement comme un autre », selon Willi Lehnert, l’agriculture biologique aiguise aussi les appétits. KTG Agrar possède plus de 30.000 hectares dans l’est de l’Allemagne, dont la moitié porte le label bio de l’Union européenne, moins contraignant que les certifications allemandes , mais qui offre de juteux débouchés en supermarché. (...)
Récemment, le Brandebourg et plusieurs Länder ont lancé des discussions pour durcir les conditions d’achat de terres agricoles, preuve que la classe politique commence à prendre conscience du problème. Probablement un peu tard, car, comme le souligne Willi Lehnert, « sur 1,4 million d’hectares qui appartenaient à l’État, et donc à nous, 90 % ont déjà été privatisés ».