
Ça en jette ! Après les avocats, bien d’autres professions ont jeté leurs outils au sol devant les « décideurs ». Ce que dit ce geste : nous ne céderons pas, parce qu’à travers notre travail c’est la vie qui est en jeu, la nôtre, et celle des personnes pour qui nous travaillons.
Ça en jette ! Après les avocats qui ont inauguré le geste à Caen, le 8 janvier, en jetant à terre leurs robes noires aux pieds de la ministre de la Justice, d’autres professions ont compris, soutenu et démultiplié la portée symbolique du « jeter d’outil ». Les soignants balancent leurs blouses blanches à l’hôpital Saint-Louis, à celui de Chinon ou de Corbeil-Essonne, à Clermont-Ferrand des salariés de l’aéronautique lancent leurs bleus de travail, ceux de Météo France à Toulouse jettent des parapluies, les égoutiers de la Ville de Paris des cuissardes, les enseignants des manuels, les inspecteurs du travail le Code du même nom, les artisans du Mobilier National leurs marteaux et rabots … Le geste est l’une des formes que prend une caractéristique de ce mouvement : mettre en avant son travail. Les voix du chœur de Radio France par le « Chœur des esclaves » interrompent les vœux hors sol de leur PDG Sybile Veil, les danseurs et l’orchestre de l’Opéra se produisent sur la place publique, des journalistes de radio France créent leur journal des luttes sur les ondes, des travailleurs du numérique inventent pour leurs collègues la mobilisation 2.0… (...)
la pédagogie du gouvernement pour expliquer sa réforme est tellement à côté du réel qu’elle se heurte partout, comme à une évidence, au caractère insoutenable du travail. Comment accepter de travailler plus longtemps quand on s’égosille depuis des années à dire qu’il n’est plus possible de travailler de cette façon ? Les hospitaliers, les pompiers, les enseignants, les agents des EHPAD, les femmes de chambre des hôtels, et même les Gilets jaunes dénonçant la précarité et la désertion des services publics… toutes ces luttes de ces dernières années ont imposé sur la place publique la question du mauvais travail.
Les défenseurs du travail bien fait se recrutent aussi dans la magistrature : après le remarquable travail judiciaire des procureur.es et des juges du procès France Télécom, qui a abouti à un jugement exemplaire, c’est le Conseil d’État qui critique vertement le travail ni fait ni à faire du gouvernement, un projet bâclé et « lacunaire ». Prétendant effacer d’un trait deux siècles d’histoire de la protection sociale, le pouvoir se dit animé d’un souci de justice et martèle « l’universalité » comme la pièce maîtresse de son projet. Mais son seul horizon est le projet néolibéral d’un grand marché du travail expurgé de toutes les « rigidités » (trop protectrices à son goût) de statuts ou de métiers, où le travail serait réduit à une pure marchandise (...)
Même si certain.es parlent de quitter le métier devenu invivable, le « jeter d’outil » n’est pas un geste de capitulation, et encore moins un geste de dégoût du travail contrairement au discours absurde du pouvoir. Il dit le contraire : nous ne céderons pas dans la lutte en cours parce qu’à travers le travail c’est la vie qui est en jeu, la nôtre, et celle des personnes pour qui nous travaillons. En cela, il dit que dans la réalité du travail d’aujourd’hui se dessine l’avenir de notre monde, exigeant la mobilisation de celles et ceux qui ne renoncent pas à bâtir un monde vivable.
Pourquoi ce message se forme-t-il aujourd’hui, lors de cette lutte sur la retraite ? Peut-être parce que cette mobilisation-là a vécu des chapitres antérieurs, et que de lutte en lutte se construit la mémoire des arguments et des défauts d’argument…Face aux justifications abstraites, technocratiques et mensongères du pouvoir, se dresse aujourd’hui le travail concret, attentionné, attentif à ses effets sur le monde et sur chacun.e d’entre nous. Ce travail-là ne revendique pas sa dignité, il l’affirme dans le geste de déposer ses outils. (...)