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l’Humanité
Jennifer Tamas : « Relisons les classiques à travers un prisme féminin »
#femmes #patriarcat
Article mis en ligne le 8 mars 2023

Spécialiste de la littérature française de l’Ancien Régime, la chercheuse dépoussière notre lecture des textes en la libérant d’un regard masculin réducteur et délétère, et entreprend une salutaire exhumation de « notre matrimoine ». Réjouissant.

« La Princesse de Clèves » dit non, « Andromaque » dit non, Belle dans « la Belle et la Bête » dit non… et pourtant l’histoire a retenu que leur non voulait dire oui. Dans son livre « Au NON des femmes », Jennifer Tamas analyse ces refus et la résistance intellectuelle des femmes au XVIIe siècle, occultés par une lecture patriarcale de la littérature imposée au fil des siècles. (...)

Les textes littéraires de l’Ancien Régime ne sont pas aussi misogynes qu’on l’a laissé dire. Vous proposez non pas de réécrire l’histoire mais de la relire : comment ?

Je propose deux grandes pistes. La première est d’aller découvrir les textes écrits par les femmes qui ont été invisibilisés ou appropriés par des hommes. La géniale pièce de théâtre « la Folle Enchère », qu’Aurore Evain a mise en scène récemment, a été écrite par madame Ulrich, mais publiée sous le nom de Dancourt, un homme. La pièce raconte l’histoire d’une mère refusant que son fils se marie parce qu’elle n’a pas du tout envie de devenir grand-mère. Elle a envie d’épouser un beau jeune homme, même si elle est veuve, et va vraiment flirter avec lui. Le jeune homme va être kidnappé… C’est intéressant, ça renverse les rapports de forces. Et c’est écrit par une femme à la fin du XVIIe siècle. (...)

seul le regard masculin patriarcal a navigué jusqu’à nous. J’ai lu Sénèque, Euripide, les versions de théâtre plus contemporaines, mais Racine est particulièrement intéressant. Il écrit des choses très différentes et donne un rôle incroyable aux femmes. Toutes les pièces de Racine posent la question du consentement. (...)

seul le regard masculin patriarcal a navigué jusqu’à nous. J’ai lu Sénèque, Euripide, les versions de théâtre plus contemporaines, mais Racine est particulièrement intéressant. Il écrit des choses très différentes et donne un rôle incroyable aux femmes. Toutes les pièces de Racine posent la question du consentement. (...)

De même, vous lisez « le Petit Chaperon rouge » comme un texte d’émancipation féminine. De quelle manière ?

Je me fonde sur les travaux de l’ethnologue Yvonne Verdier, qui a écrit « Façons de dire, façons de faire », et ceux de Bernadette Bricout… Il existe beaucoup de spécialistes des contes de fées, mais qui restent enfermés dans la forteresse universitaire. Il y a même une revue qui s’appelle « Féeries ». Beaucoup de ces spécialistes recensent plusieurs versions d’un même conte. Il faut aussi aller lire les histoires qui viennent du folklore, racontées par les femmes au coin du feu. Même si les femmes n’écrivaient pas, elles parlaient. (...)

Vous remettez aussi en question les lectures, notamment cinématographiques, des « Liaisons dangereuses »…

J’ai écrit ce livre en France pendant le confinement. J’ai lu beaucoup d’essais et écouté des podcasts féministes. J’ai été étonnée qu’on résume ces textes à la culture du viol, notamment « les Liaisons dangereuses » et Valmont. Cette lecture est intéressante et je comprends le malaise. Mais, justement, pour moi, Valmont est présenté comme un séducteur. Or, au XVIIIe siècle, « séducteur » est un terme juridique désignant une action criminelle. C’est comme ça que le présente Laclos. Quand on lit « les Liaisons dangereuses », il faut le faire en parallèle avec le traité que Laclos écrit sur l’éducation des femmes. Il y dit que la société est foncièrement inégalitaire, et que le seul moyen pour les femmes d’obtenir l’égalité est de faire la révolution. Il n’y a pas d’autre solution possible. Ce qu’il essaie de montrer dans « les Liaisons dangereuses », c’est qu’on pourrait peut-être imaginer un libertinage au féminin. (...)

Pourquoi la transmission est-elle un enjeu si important aujourd’hui ?

C’est intéressant de se réapproprier ces textes classiques, notamment pour montrer qu’il y a un patrimoine et un matrimoine, mais aussi parce que cela transparaît dans la salle de classe, d’où vient le mot « classique ». Les enfants et les jeunes adultes qui vont à l’école entendent sans arrêt parler de toutes ces histoires. Il est vraiment urgent de changer la façon dont on les enseigne. (...)

« Le Consentement », de Vanessa Springora, m’a énormément secouée. Cette femme de lettres convoque dès le début de son récit tous ces textes : « Le Petit Chaperon rouge », puis « Barbe bleue », « les Liaisons dangereuses ». C’est comme si le trauma réveillait la vision patriarcale de ces textes. (...)