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Mediapart
Inégalités climatiques : comment les riches accaparent les espaces verts
#inegalités #criseclimatique
Article mis en ligne le 13 août 2023
dernière modification le 12 août 2023

Mediapart a réalisé une cartographie des inégalités sociales face aux canicules à Lille, Paris et Marseille. Elle révèle que les espaces urbains végétalisés de ces métropoles ont été monopolisés par les plus riches au détriment des classes populaires, assignées à vivre dans des quartiers surexposés aux chaleurs extrêmes.

Selon le dernier rapport annuel du Haut Conseil pour le climat, l’Hexagone est particulièrement exposé aux conséquences du réchauffement planétaire. La hausse du thermomètre a atteint + 1,9 °C sur la dernière décennie en France, contre près de 1,2 °C dans le monde. Comme l’a signalé l’organisme indépendant, « les deux tiers de la population française sont déjà fortement ou très fortement exposés au risque climatique ». (...)

Les métropoles sont tout particulièrement soumises aux canicules à travers le phénomène dit d’îlots de chaleur. « Un îlot de chaleur se définit par la différence de température entre espaces urbanisés et non urbanisés, explique à Mediapart François Leconte, maître de conférences à l’université de Lorraine, et spécialiste du sujet. La ville, a contrario de la campagne, emmagasine beaucoup de chaleur en journée et la restitue tout au long de la nuit. Cela a un impact sur les organismes, notamment chez les personnes fragiles – seniors, personnes souffrant de troubles mentaux, enfants... »

Créant une surchauffe pouvant atteindre les + 10 °C, les îlots de chaleur urbains « sont dus à la concentration des bâtiments et à l’imperméabilisation des surfaces », selon Valéry Masson, directeur de l’équipe de recherche sur le climat en ville au Centre national de recherches météorologiques. Les matériaux urbains, comme le béton, et les activités humaines, telle la climatisation, favorisent aussi la formation de ces îlots.Les métropoles sont tout particulièrement soumises aux canicules à travers le phénomène dit d’îlots de chaleur. « Un îlot de chaleur se définit par la différence de température entre espaces urbanisés et non urbanisés, explique à Mediapart François Leconte, maître de conférences à l’université de Lorraine, et spécialiste du sujet. La ville, a contrario de la campagne, emmagasine beaucoup de chaleur en journée et la restitue tout au long de la nuit. Cela a un impact sur les organismes, notamment chez les personnes fragiles – seniors, personnes souffrant de troubles mentaux, enfants... »

Créant une surchauffe pouvant atteindre les + 10 °C, les îlots de chaleur urbains « sont dus à la concentration des bâtiments et à l’imperméabilisation des surfaces », selon Valéry Masson, directeur de l’équipe de recherche sur le climat en ville au Centre national de recherches météorologiques. Les matériaux urbains, comme le béton, et les activités humaines, telle la climatisation, favorisent aussi la formation de ces îlots. (...)

À l’aide du cartographe Cédric Rossi – qui s’est déjà penché sur ce phénomène – , Mediapart a réalisé une géographie sociale des inégalités climatiques dans trois grandes métropoles françaises : Lille, Paris et Marseille. (...)

Aux dépens de ces ménages précaires, les quartiers les plus végétalisés et les plus frais ont été accaparés par les habitant·es riches de ces villes, qui de facto subissent le moins les chaleurs caniculaires. (...)

Les températures montrent que les communes pauvres et post-industrielles ainsi que les quartiers populaires de Lille souffrent le plus de la chaleur. En effet, les températures de surface les plus chaudes ont été relevées à Tourcoing, où le taux de pauvreté avoisine les 30 %, ou encore à Roubaix, ville la plus pauvre de France, avec 45 % de sa population vivant sous le seuil de pauvreté.

Dans ces communes populaires et accueillant d’importantes populations immigrées – à Roubaix, 20 % des habitant·es sont de nationalité étrangère – , les espaces verts sont extrêmement réduits et la densité de population y est plus forte. Par exemple, pour une même superficie urbaine de 13 km2, la très bourgeoise ville de Bondues dénombre dix fois moins d’habitant·es que Roubaix.

« L’entre-soi résidentiel des riches est tel qu’il conduit à une assignation résidentielle des plus pauvres, commente Fabien Lesage. Il y a dans le temps un long maintien des inégalités sociales, une inertie crée par le foncier urbain. » (...)

Cette cartographie des « vulnérabilités climatiques » dévoile comment les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), espaces urbains où les revenus sont les plus faibles du pays, sont les plus fragiles face aux canicules. (...)

À Paris, la quadruple peine des classes populaires (...)

la cartographie des températures de surface révèle que, paradoxalement, alors que les banlieues populaires – qui s’étalent dans la métropole du Grand Paris de Nanterre jusqu’à Villejuif – sont moins denses en matière de population, il y fait beaucoup plus chaud que dans Paris intra-muros. (...)

« L’hypothèse est que l’espace dans ces territoires est plus bétonné et marqué par les grands ensembles, souligne pour Mediapart la géographe Cécile Gintrac. On voit aussi sur ces cartes que la Seine-Saint-Denis est traversée par des infrastructures qui captent la chaleur comme les autoroutes A1 et A86 ou les voies ferrées. À Gennevilliers, on observe aussi de grandes structures industrielles comme le port fluvial sur Seine. »

Au contraire, les banlieues huppées du sud-ouest de la métropole parisienne – Clamart, Sceaux, Meudon – sont entourées par les forêts domaniales de Fausses-Reposes et de Meudon, les domaines nationaux de Saint-Cloud et de Sceaux, ou encore le golf de Paris.

« Au-delà de la surexposition des classes populaires aux îlots de chaleur urbains, ce que suggèrent ces cartes, c’est aussi une tendance à l’accaparement des espaces verts par les ménages fortunés. On le remarque, par exemple, sur les zones fraîches du nord-est de Paris autour du parc des Buttes-Chaumont ou du canal de l’Ourcq », commente Hadrien Malier, sociologue à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux. (...)

« En somme, ne pas planter des arbres est plus pratique pour laisser l’espace urbain ouvert afin de contrôler la population via des caméras de vidéosurveillance, des drones ou la simple vue des patrouilles de police », précise le chargé de recherche CNRS. (...)

En Seine-Saint-Denis, environ 20 % des logements sont surpeuplés, conduisant un grand nombre d’habitant·es à vivre les vagues de chaleur sans aucun confort intérieur. Ce département, le plus pauvre de l’Hexagone et où les personnes immigrées représentent près d’un tiers de la population, a été parmi les plus touchés lors de la vague de chaleur de 2003, avec une surmortalité de + 160 %.

« Pour les classes populaires, c’est une quadruple peine. Elles souffrent de températures élevées, dans du bâti mal isolé (typiquement, les tours et les barres des années 1970 du Nord et Est parisien), dans des quartiers avec peu d’accès à la végétalisation, et sans revenus suffisants pour pouvoir partir de la ville l’été, afin de mieux respirer en campagne ou à la mer », résume le chercheur Matthieu Adam. (...)

À Marseille, des espaces verts privatisés par les plus aisé·es (...)

en 75 ans, le cœur historique de Marseille a perdu la moitié de son patrimoine arboré. Professeure à Aix-Marseille Université et chercheuse au Laboratoire Population Environnement Développement, Élisabeth Dorier précise pour Mediapart : « Dans le centre-ville de Marseille, il existe encore quelques rares cours intérieures avec des arbres. C’est une adaptation ancienne aux chaleurs des quartiers historiques qu’il faut à tout prix préserver. » (...)

Elle ajoute que dans les quartiers défavorisés au nord de Marseille et dans la vallée de l’Huveaune, les habitant·es sont plus exposé·es aux chaleurs extrêmes, car ces territoires concentrent les activités portuaires, industrielles et logistiques, ainsi que « des friches industrielles reconverties en habitats très denses, avec des parvis minéralisés ».

« En revanche, les chaleurs sont plus faibles dans les quartiers riches et végétalisés du sud de la ville, qui depuis la mer, peut prendre des allures de riviera, observe Allan Popelard. Cette division socio-environnementale Nord-Sud résulte des choix d’aménagement opérés notamment sous les mandatures de Gaston Defferre (1953-1986) et Jean-Claude Gaudin (1995-2020). Une politique de classe qui a concentré les externalités négatives dans les quartiers nord. » (...)

Ces privilégié·es qui subissent moins les températures extrêmes sont pourtant de bien plus gros émetteurs de gaz à effet de serre que les habitant·es des quartiers populaires : les 1 % les plus riches de la population ont une empreinte carbone huit fois supérieure à la moitié la plus pauvre des Français·es.
L’angle mort des inégalités climatiques

D’après Santé publique France, près de 33 000 décès dans l’Hexagone sont liés à la chaleur entre 2014 et 2022, l’organisme public soulignant que « les canicules sont les événements climatiques extrêmes associés au fardeau humain le plus élevé en France métropolitaine ».

En juin dernier, le Haut conseil pour le climat a jugé dans son dernier rapport annuel que le pays n’est « pas prêt » à faire face au dérèglement climatique qui s’aggrave. En effet, d’ici à 2050, les vagues de chaleur devraient être deux fois plus nombreuses que sur la période 1976-2005, et elles seront plus étalées dans le temps. (...)

En février, une vaste étude scientifique internationale estimait encore qu’adapter nos villes aux canicules en les recouvrant à 30 % d’arbres pourrait réduire les décès liés à la chaleur de près de 40 %.

Ce changement d’échelle est bien loin d’être pris en compte par le gouvernement. Le ministre de la transition écologique Christophe Béchu s’est contenté le 11 juillet dernier d’« appeler à la vigilance » face aux chaleurs extrêmes actuelles et conseille dans son plan canicule de « baisser les stores ». Une façon de nier la dimension sociale de la crise climatique.

Comme l’a résumé le sociologue américain Eric Klinenberg, spécialiste de l’impact social des vagues de chaleur : « Les canicules sont des tueuses silencieuses et invisibles de personnes silencieuses et invisibles. »