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Indignados, Occupy : toujours actuels, toujours stimulants
Viviana Asara et Barbara Muraca sont universitaires. Cet article est paru dans le livre Décroissance. Vocabulaire pour une nouvelle ère, sous la direction de Giacomo D’Alisa, Federico Demaria et Giorgos Kallis.
Article mis en ligne le 12 mai 2016
dernière modification le 9 mai 2016

Alors que Nuit debout perdure et se diffuse, il est utile de se tourner vers les mouvements nés en 2011, les Indignés espagnols et Occupy Wall Street, aux États-Unis. Ils ont lancé les formes nouvelles d’action, de l’occupation de l’espace urbain à la volonté démocratique. Et affirmé une critique radicale d’un système économique fondé sur la croissance.

Le mouvement des Indignés (Indignados, en espagnol) et Occupy sont des mouvements sociaux qui, inspirés notamment par le Printemps arabe, ont débuté en 2011 dans de nombreux pays pour protester contre les politiques d’austérité, le fort taux de chômage, l’accroissement des inégalités sociales, la collusion des hommes politiques au pouvoir avec les intérêts des entreprises et de la finance capitalistes, et qui militent pour une démocratie « réelle » et pour la justice sociale. Bien que les deux mouvements fassent référence à deux dynamiques distinctes, qui sont nés respectivement en Espagne et aux États-Unis, puis se sont propagées à d’autres pays, ils ont des revendications similaires, une même méthodologie d’occupation de l’espace urbain et une même utilisation de la démocratie directe sous forme d’assemblées.

Au début de l’année 2011, en Espagne, une nouvelle plate-forme composée de différents collectifs et réseaux, nommée Democracia Real Ya ! (« La démocratie réelle, maintenant ! »), publie un manifeste sur Facebook et appelle à manifester, le 15 mai, sous le mot d’ordre : « Nous ne sommes pas des marchandises entre les mains des politiciens et des banquiers. » Dans le manifeste, les activistes — en écho au titre du petit livre de Stéphane Hessel qui connaît alors un immense succès en France — se déclarent « indignés » par « le diktat des grandes puissances économiques », la dictature des partis politiques, la domination de l’économisme, les injustices sociales, ainsi que par la corruption des hommes politiques, des banquiers et des hommes d’affaires. Leur appel réussit à faire descendre dans la rue des dizaines de milliers de personnes dans 50 villes à travers l’Espagne. (...)

Après le démantèlement (pas toujours) volontaire des campements, certains groupes de travail, certaines commissions et assemblées ont continué à fonctionner, et les assemblées de quartier ont pris de l’importance, se tenant périodiquement dans des espaces de coordination. Le mouvement est entré dans une phase plus latente, gagnant de la visibilité lors de grèves et de manifestations générales telles que l’« encerclement » symbolique du Parlement en septembre 2012. Le manifeste rédigé à l’occasion du premier anniversaire du mouvement comprenait des revendications telles que le refus de renflouer les banques, la réalisation d’un audit citoyen de la dette, la priorité donnée à l’éducation publique, la redistribution des richesses, un revenu de base, la redistribution du travail, le refus des emplois précaires, et la valorisation du travail reproductif et domestique.

Le mouvement Occupy Wall Street est né le 17 septembre 2011, avec l’occupation par une centaine de personnes de Zuccotti Park, dans le quartier financier de Manhattan, à New York. Des occupations en masse se sont produites après que la revue Adbusters eut publié un appel, en juillet, à occuper Wall Street. Les occupations se sont multipliées dans de nombreuses villes des États-Unis et ont continué jusqu’en novembre 2011. Parmi les revendications d’Occupy Wall Street, on trouve l’égale répartition des richesses, une réforme du système bancaire, une réduction de l’influence politique des grandes entreprises et la nécessité de changer le système pour remédier aux injustices et aux inégalités. (...)

Ces deux mouvements partagent une structure similaire et une organisation du processus interne de prise de décision (...)

Loin d’être une simple réaction aux politiques d’austérité et au caractère antidémocratique des démocraties représentatives (libérales), le mouvement des Indignés incarne une critique culturelle plus radicale des sociétés contemporaines, visant leurs valeurs de productivisme, d’économisme, d’individualisme et de consumérisme. Il y a, de façon assez évidente, des points communs entre les Indignés/Occupy et le mouvement de la décroissance : la revendication d’un changement systémique renvoie, comme dans la plupart des visions décroissantes, à la perception d’une crise systémique, qui ne comprend pas seulement des dimensions politiques et économiques, mais aussi écologiques et culturelles. Au lieu de vouloir une reprise de la croissance, les deux mouvements appellent à la mise en place de modèles socioéconomiques différents, dans lesquels les revendications de décroissance sont entrelacées avec des appels à la redistribution des richesses et à la justice sociale. (...)

La crise actuelle marque un tournant dans l’alliance fragile entre la démocratie et le capitalisme telle que nous la connaissons : une telle alliance semble avoir été plutôt conjoncturelle, liée à la relation vertueuse entre la croissance économique et l’État providence d’une part, et à la médiation des grands partis politiques et de la compétition entre les partis d’autre part [3]. Depuis, alors que la promesse de prospérité et de liberté liée à la croissance économique ne tient plus, les politiques d’austérité visant à atteindre la croissance, prétendument le seul remède à la crise, mettent en danger la démocratie elle-même. (...)