
Ancien dirigeant de grandes entreprises, ex-conseiller présidentiel, figure de la communication, marchand d’armes à la retraite, ou encore homme de main… Tous ont témoigné, dans l’affaire libyenne, de menaces et d’intimidations émanant de l’intermédiaire sarkozyste, jadis prince occulte de la République.
Ancien dirigeant de grandes entreprises, ex-conseiller présidentiel, figure de la communication économique et politique, marchand d’armes à la retraite ou homme de main… C’est un aréopage hétéroclite de personnalités qui a défilé ces derniers mois dans les bureaux de l’Office anticorruption (OCLCIFF) de la police judiciaire, à Nanterre (Hauts-de-Seine), pour confier aux enquêteurs des anecdotes lourdes de sens sur un seul et même homme : Alexandre Djouhri.
Tous ont témoigné sur procès-verbal, dans le cadre de l’instruction sur les financements libyens, du climat de menaces et d’intimidations entourant l’intermédiaire, qu’on savait infiltré dans les plus hautes sphères de la République, proche de politiques (Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy), de capitaines d’industrie (Serge Dassault et Henri Proglio), de personnalités étrangères (le clan Bongo au Gabon et Béchir Saleh en Libye), de policiers (comme Bernard Squarcini) ou de patrons de presse (comme Hervé Gattegno, du Journal du dimanche et de Paris Match), mais dont l’étoile ne cesse de pâlir sous les lumières de la justice. (...)
Homme d’affaires au charme corsaire pour ses affidés et agent de corruption pour les juges qui enquêtent sur lui, Djouhri fut peut-être l’un des hommes les plus secrètement puissants de France sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, menant toujours grand train (jets privés, palaces, limousines, yachts), capable de s’immiscer aussi bien dans des grands contrats industriels que de se mêler de questions diplomatiques.
Déjà mis en examen dans l’affaire libyenne pour dix délits (qu’il conteste), dont la « corruption », la « complicité de détournements de fonds publics » et le « blanchiment de fraude fiscale en bande organisée », Alexandre Djouhri a écopé, le 20 juillet dernier, dans le cabinet de la juge d’instruction Aude Buresi, d’une nouvelle mise en cause judiciaire dans ce même dossier : « association de malfaiteurs ».
Mis en cause par la justice pour les 500 000 euros qu’il a contribué à verser en 2008 à Claude Guéant, alors numéro 2 de l’Élysée sous Sarkozy, en concertation avec le directeur de cabinet de Kadhafi, Béchir Saleh, mais aussi pour avoir orchestré en 2012 l’exfiltration de France du même Saleh après des révélations de Mediapart, alors que le Libyen était recherché par Interpol, Alexandre Djouhri se retrouve aujourd’hui dépeint de toutes parts en homme dangereux. (...)
Veolia et Djouhri, c’est toute une histoire tissée de vrai et de faux, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, y compris judiciaire : en 2004, Djouhri a en effet été condamné pour avoir tabassé dans un palace parisien, le George-V, un partenaire de la multinationale au Moyen-Orient, l’homme d’affaires franco-tunisien Mohamed Ayachi Ajroudi, sur fond de différend financier.
Consciente de la proximité entre Djouhri et Proglio, Anne Méaux dit s’être alors renseignée sur l’intermédiaire et avoir découvert son passé aux marges du grand banditisme – il a frayé avec des bandes armées parisiennes dans les années 1980 sans être jamais condamné par la justice. Elle a décidé de s’en ouvrir au patron de Veolia « pour lui dire de se méfier ». « J’ai dû faire une erreur, a-t-elle reconnu devant les enquêteurs. Je suppose qu’il a dû en parler à M. Djouhri. » De fait, les deux hommes sont vraiment très proches.
« Depuis, [Djouhri] s’est mis à me vouer une espèce de haine farouche. Dès qu’il lui arrivait quelque chose, il considérait que j’étais derrière », a expliqué Anne Méaux, qui assure que la fin de sa collaboration avec Veolia est « essentiellement liée à M. Djouhri ». Et c’est à ce moment que les ennuis, entourés d’un parfum de menaces aux relents mafieux, ont commencé pour elle, d’après son témoignage.
J’ai reçu des appels anonymes. C’était de plus en plus violent. Lors de ces appels, on m’a mise en garde sur le risque que je me fasse renverser par une voiture. Des appels ont également évoqué mes filles… (...)