
La question de l’Etat et celle, corrélative, du niveau des dépenses publiques font partie des sujets qui divisent et affaiblissent le plus la gauche. Les couches populaires, malmenées par le chômage et l’accroissement des inégalités, ne peuvent pas se reconnaître dans ceux qui, à gauche, semblent s’être ralliés désormais au discours du toujours « moins d’Etat ».
Pour autant, elles ne s’identifient guère non plus aux nostalgiques d’un Etat omniprésent, assimilés souvent aux défenseurs des seuls intérêts particuliers des salariés de cet Etat. Le débat en vue d’une primaire des gauches et des écologistes doit contribuer à sortir la gauche de ce piège en dépassant les fausses oppositions qui dominent actuellement en son sein.
On a besoin de plus en plus de « biens publics »
Tout d’abord, des sociétés comme les nôtres, caractérisées par une division du travail de plus en plus poussée, sont aussi de plus en plus fragiles : pour produire des richesses, il faut que de plus en plus de personnes et de structures puissent coopérer de façon efficace en permanence. Une telle société est très sensible à tous les aléas – embouteillage, crises sociales, événement climatique – et a donc besoin de plus en plus de « biens publics » pour fonctionner correctement. Or, ces biens publics, on ne sait les produire que grâce à l’action publique.
Les dépenses publiques ne se font pas aux dépens du secteur privé : elles sont la condition pour qu’il continue à faire des profits (...)
Le problème c’est l’efficacité des dépenses publiques, pas leur niveau (...)
Il existe incontestablement en France un problème majeur de gouvernance et de contrôle citoyen de l’action publique. Celui-ci résulte de l’histoire de la construction verticale et autoritaire de l’Etat sous l’Ancien Régime, une tradition poursuivie par-delà la Révolution par Napoléon Bonaparte et réactivée dans la période récente par un autre général, fondateur de la Ve République. Cette histoire se traduit par un Etat qui se considère volontiers comme au-dessus et en dehors de la société. Cela se reflète dans le statut particulier, distinct de celui des salariés du secteur privé, dont sont dotés ses employés, ce qui contribue à diviser le salariat et à affaiblir la gauche.
Au fond, cet Etat considère qu’il n’a pas vraiment de comptes à rendre aux citoyens, car ses dirigeants savent mieux qu’eux, ce qui est bon pour le pays. Un état de fait renforcé par la faiblesse traditionnelle des « corps intermédiaires » dans la société française. Mais c’est aussi cette situation qui rend l’action de cet Etat à la fois peu efficace, du fait de son incapacité à prendre en compte les avis des citoyens et, du coup, peu légitime aux yeux de nombre d’entre eux. (...)