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HÔPITAL PUBLIC, RISQUE DE SATURATION. « Macron paralyse le pays parce que l’hôpital manque de lits »
Article mis en ligne le 16 octobre 2020
dernière modification le 15 octobre 2020

Risque de saturation, crainte d’impuissance. Face à la nouvelle vague de la pandémie, les soignants de l’hôpital public tiendront-ils une seconde fois ?

C’est la grande inquiétude du pouvoir. Pour l’urgentiste Patrick Pelloux, « on doit paralyser le pays parce que les hôpitaux manquent de lits [1]. »

Manque de lits, manque de personnels, la déprime gagne avec un sentiment de trahison. Pourtant, au printemps, la pandémie avait entraîné un soutien enthousiaste et une prise de conscience du désastre des politiques de santé appliquées depuis des années. Il y avait là un élan unanime pour changer radicalement de logiciel. L’opinion était prête.

La main sur le cœur, Emmanuel Macron essayait de récupérer le vent dominant : « ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché [2] ». Il n’en croyait pas un mot, mais il faut savoir plaire à la clientèle. Puis il y eut le « Ségur de la santé », qui devait entraîner un « choc d’attractivité ». Bien au contraire, aujourd’hui, les infirmières continuent de quitter l’hôpital public et 30 % des postes de médecins hospitaliers sont vacants. Des lits sont inutilisés, faute de personnel. Le pouvoir politique sait que, malgré tout, les soignants attachés au bien commun, à nouveau, feront l’impossible. Mais jusqu’où cet abus cynique ? Et combien de victimes sont déjà imputables à des politiques de santé basées sur les « lois du marché » ?

À Marseille et à Paris, nous avons rencontré celles et ceux qui ne lâcheront pas. (...)

Entretien avec OLIVIER MILLERON, cardiologue, collectif Inter Hôpitaux (...)

Olivier Milleron — C’est pire. Aujourd’hui, il y a un sentiment de trahison et de colère énorme. Nous sommes très inquiets parce que l’état d’esprit au travail est super important. Or l’état d’esprit est très mauvais, les gens s’en vont de l’hôpital. Il y a eu, certes, quelques recrutements. Le gros hôpital nord (Bichat) où je travaille et les autres hôpitaux de l’AP-HP ont réussi à recruter 192 infirmières depuis le Ségur, sauf qu’il y en a 192 qui sont parties. On revient donc au déficit précédent : au moins 100 postes sont vacants dans ce gros centre hospitalier, d’où des lits fermés. L’offre de soins à la population est par conséquent bien en-dessous de ce qu’elle devrait être (...)

Certes, il y a eu des augmentations de salaire qui, si on fait le calcul de ce qu’elles vont coûter, représentent beaucoup d’argent. Sauf qu’il s’agit d’un rattrapage de dix ans de disette, qui se situe bien en-dessous de ce qu’on demandait pour rattraper la moyenne de l’OCDE. (...)

On s’en va aussi parce qu’on a l’impression qu’on fait mal son travail, faute d’avoir les moyens de bien le faire. Aujourd’hui, on n’a plus le temps, parce que dans leur vision de l’hôpital-entreprise, il faudrait qu’il y ait un patient, un symptôme, un acte. Et ça, les soignants n’en peuvent plus, et ils ont bien compris qu’après un petit espoir, une petite modification dans le discours du personnel politique au moment de la Covid, en fait on est complètement revenu au monde d’avant. (...)

On s’en va aussi parce qu’on a l’impression qu’on fait mal son travail, faute d’avoir les moyens de bien le faire. Aujourd’hui, on n’a plus le temps, parce que dans leur vision de l’hôpital-entreprise, il faudrait qu’il y ait un patient, un symptôme, un acte. Et ça, les soignants n’en peuvent plus, et ils ont bien compris qu’après un petit espoir, une petite modification dans le discours du personnel politique au moment de la Covid, en fait on est complètement revenu au monde d’avant. (...)

Ensuite, il y a le problème du pouvoir : qui a le pouvoir dans l’hôpital ? On en est à plus de dix ans de pouvoir donné au directeur de l’hôpital, avec comme unique feuille de route de faire des économies, et non pas de faire du soin. (...)

Aujourd’hui, où en est-on ? Les gens qui sont au pouvoir ne sont pas des perdreaux de l’année. Macron a été conseiller du président Hollande et il a été ministre des Finances, donc il a fait voter les budgets, en particulier ceux de la sécurité sociale. Quant à notre ministre, Olivier Véran, il était au cabinet de Marisol Touraine, il a aussi été à l’Assemblée rapporteur des précédents budgets de la sécurité sociale. Ils connaissent donc le sujet, ils ne peuvent pas dire qu’ils ne savaient pas, il faut donc qu’aujourd’hui ils agissent très vite.

Soit ils disent aux Français qu’on va vers un système privé à l’américaine, soit ils renflouent l’hôpital public, mais il ne peut pas y avoir de demi-mesure. Or il n’y a aucune discussion politique là-dessus, ils n’ont aucun mandat politique pour supprimer l’hôpital public et passer à un système privé. Donc, aujourd’hui, il n’y a pas d’autre solution que de se mobiliser avec les citoyens pour faire pression sur les politiques et bien leur faire comprendre que faire une croix sur l’hôpital public en France va leur coûter très cher politiquement. (...)

C’est une des institutions auxquelles les Français sont le plus attachés, ils ont confiance dans l’hôpital public. C’est quelque chose qui a sauvé des vies de façon énorme et qui est très en difficulté. Il faut que ça devienne une priorité pour la nation. S’ils ne le font pas, c’est qu’ils ont un plan B.

La suspicion, c’est qu’ils veulent faire tomber le système de protection sociale à la française. Le Medef avait bien dit qu’il voulait remettre en cause le programme du Conseil national de la Résistance. Est-ce qu’ils veulent faire tomber le système de protection sociale à la française pour aller vers un système confié aux assurances privées ? Il y a une grosse suspicion aujourd’hui, parce que tout pousse à se demander comment ils ont pu gâcher cette possibilité de reprendre l’élan qu’il y a eu, au moment de la Covid, envers l’hôpital public, pour le sauver et recréer quelque chose de fantastique.