Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
street press
HARCÈLEMENT À CARACTÈRE RACISTE À L’ÉCOLE DES BEAUX-ARTS DE PARIS
Article mis en ligne le 15 mars 2018

Insultes, brimades, humiliations... Sept salariés de la société en charge du nettoyage de l’école des beaux-arts de Paris portent plainte contre leur responsable pour harcèlement moral à caractère raciste. Ils racontent à StreetPress leur calvaire.

Assis dans un café à deux pas du métro Couronnes, les cinq employés ou ex-employés en charge du nettoyage de l’école des beaux arts, égrainent avec douleur les brimades et les injures racistes : « Les noirs ne sont pas propres » ou « Vous faites reculer la France en faisant trop d’enfants ». Mariam (1) commente en soupirant :
« Des phrases comme ça, il y en a tellement, ça serait trop long de tout raconter. »
Une prise de parole difficile après des années de silence. Sept agents ou anciens agents de l’entreprise Organet ont décidé de briser l’omerta en portant plainte pour harcèlement moral à caractère raciste. Une plainte collective est également portée par le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap). Les plaignants mettent en cause Rachida (1), leur responsable hiérarchique au sein de cette entreprise, en poste aux Beaux-Arts depuis 17 ans. Contactée par StreetPress, cette dernière nie l’ensemble des accusations. Elle assure avoir également porté plainte, pour harcèlement.

Briser l’omerta

Longtemps, les personnels ont subi ce harcèlement raciste, sans moufter. « On ne parlait pas, on acceptait tout. On n’avait pas le choix. On ne pouvait pas ne plus avoir de travail », explique Ousmane (1). (...)

« On n’arrive même plus à compter combien de personnes sont parties », commentent Mariam et Ousmane, blasés. Ils sont les deux derniers plaignants, toujours en poste aux Beaux-Arts. Et ceux qui ont vu le plus de personnes arriver et repartir, à force de dénigrement et d’injures rabaissantes. Comme cette employée algérienne qui a démissionné et qui témoigne dans une lettre que StreetPress a pu consulter. On y peut lire :
« Elle me traitait de “sale arabe”, m’a fait nettoyer une benne avec un balai brosse et un seau. Quand j’ai demandé le Kärcher, elle m’a dit de nettoyer comme au bled. » (...)

Selon les employés d’Organet, la mécanique est limpide : si quelqu’un se rebiffe, il est déplacé. La cheffe d’équipe leur aurait également demandé d’écrire des faux témoignages pour se débarrasser des indésirables. Ousmane et Mariam le regrettent mais ils s’y sont pliés. Pas vraiment le choix. Quand la pression ne suffit pas, leur supérieure répèterait à l’envi qu’elle est « intouchable » et menacerait de se plaindre auprès d’un des responsables des Beaux-Arts.

Pour les plaignants comme l’employée syndiquée, pas de doute : Rachida est « protégée » par cet homme, en place depuis de longues années. Un personnage ambigu de l’école, ancien militaire, qui se promène rangers au pied et croix de fer autour du cou. Il la surnommerait « la petite soeur des Beaux-Arts ».

« Cette idée de protection est assez floue. Il ne se cache pas du soutien qu’il peut lui apporter. De son point de vue, elle fait parfaitement bien son travail », précise Patricia Stibbe, directrice adjointe de l’école, jointe par StreetPress. Pour Anna du syndicat Sud Culture, il y a un problème d’ingérence :
« À la demande de la responsable, il appelait lui-même l’entreprise pour virer ou déplacer les employés qui la dérangeaient ».
Selon Organet et l’administration des Beaux-Arts, il s’agit seulement de contacts classiques entre une entreprise de sous-traitance et son client. Rachida ajoute : « Je suis une cheffe de site, j’ai un client, il n’y a pas de problème à bien s’entendre. Je dois gérer avec lui ». (...)

Le complot
De son côté, la cheffe d’équipe mise en cause par ces sept plaintes crie au mensonge et se dit très choquée et affectée par la situation. Pour chaque récit d’un des agents de nettoyage, elle avance une autre version :
« Je n’ai jamais été raciste et je ne le serai jamais. Je suis une femme musulmane, voilée, je n’oserais jamais dire ces mots à un homme. »
Dans un enregistrement que StreetPress a pu écouter, on l’entend pourtant dire :
« Les noirs sont tellement feignants, sont tellement connards, sont tellement des bons à rien. »
Elle interpelle ensuite son employé :
« Est-ce que tu te sens toi-même ? Tu sens quoi ? Tu sens le noir. Va travailler ! »
Interrogée sur cette enregistrement, Rachida en nie le caractère raciste. Il s’agissait simplement d’une plaisanterie. (...)

Depuis le premier témoignage en juin 2017, les plaignants affirment avoir tenté d’alerter l’entreprise avec l’aide des syndicats des Beaux-Arts. De son côté, le président d’Organet déclare avoir eu très peu de remontées de ses salariés. Deux enquêtes internes ont tout de même été menées.

Dans un premier temps, la réponse a été de former la cheffe d’équipe. À la suite d’une deuxième enquête et des témoignages des agents, le directeur a demandé sa mutation. Elle conteste tout ce qui lui est reproché et refuse cette décision. « Je lui ai demandé d’intégrer le nouveau site mais elle ne s’est pas présentée », explique Daniel Marques, le président de l’entreprise sous-traitante. Il explique vouloir laisser l’enquête suivre son cours. « Je ne veux mettre en doute ni les paroles de mes salariés, ni celles de ma cheffe d’équipe. On prendra les mesures qu’il faut sans hésiter. On n’accepte pas ce genre de choses dans l’entreprise », ajoute-t-il, précisant qu’il a reçu le prix de l’entreprise bienveillante de RMC. (...)

Les Beaux-arts renvoient la balle à leur sous-traitant

« On en veut à ce responsable des Beaux-Arts [l’homme qu’ils accusent de couvrir leur cheffe d’équipe] car il n’a jamais écouté notre version », regrette Mariam, agacée. La direction de l’école aurait été informée de la situation depuis le premier témoignage. « À chaque étape, nous avons prévenu l’administration qui n’a rien fait. Elle nous répondait toujours : “Ce n’est pas de notre ressort” », expliquent les syndicats de l’école. C’est en substance ce que répond à StreetPress la directrice adjointe :
« Nous nous sentons concernés mais nous n’avons aucun pouvoir hiérarchique sur ces employés sous-traitants. À aucun moment, nous ne rentrons dans les conditions pour résilier ce marché. Si les résultats de l’enquête sont défavorables à Organet ou à la cheffe d’équipe, nous en tirerons les conséquences. »

Bon nombre des étudiants, indignés, attendent aussi une réponse ferme de leur école. Le soir du vernissage de l’exposition « Images de mai 68 », en février, ils ont ainsi distribué 3.500 tracts pour alerter. Un collectif s’est monté, qui veut interpeller la ministre de la Culture.

Fatigués, les employés de nettoyage attendent eux aussi avec impatience un dénouement judiciaire. Après de longues années à ne rien dire, la plainte est un espoir d’être enfin écoutés. Presque un an qu’ils répètent les mêmes histoires, les mêmes insultes, les mêmes menaces aux syndicats, à la police, aux avocats, à leur entreprise. (...)

« On ne veut rien, on ne vient pas chercher d’argent, on fait ça simplement pour qu’on nous fiche la paix et que les employés suivants soient tranquilles ».
Contacté par StreetPress, le responsable des Beaux-Arts mis en cause par les employés d’Organet n’a pas souhaité répondre.