Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Grippe aviaire : la fronde dans les élevages de plein air s’amplifie
Article mis en ligne le 16 avril 2022

L’épidémie de grippe aviaire qui sévit depuis l’automne atteint un niveau jamais vu en France. Les autorités y répondent par des abattages massifs d’animaux et l’obligation d’enfermer les volailles. De plus en plus d’éleveurs de plein air, secteur où le virus n’a pas sévi, refusent de s’y soumettre.

Moncoutant-sur-Sèvre, La Forêt-sur-Sèvre (Deux-Sèvres).– L’arrêté préfectoral est arrivé un vendredi soir de la fin mars, par un courriel dans sa boîte. Il fallait, dans les dix jours, procéder à « l’abattage ou la mise à mort » de toutes les volailles présentes sur la ferme. Peu importe si elles étaient saines, propres à la consommation, ou encore en croissance pour quelques semaines, la langue administrative était claire. Il fallait procéder à un « dépeuplement préventif ».

Olivier Gazeau, éleveur depuis 22 ans, n’a guère apprécié. Depuis octobre déjà, cet agriculteur qui travaille intégralement en vente directe est censé enfermer ces volailles, ce qu’il refuse. Depuis janvier, il n’a plus le droit de mettre en production de nouveaux poussins. La raison, c’est la grippe aviaire qui sévit sur le territoire français depuis cet automne. D’abord dans le Sud-Ouest (Gers et Landes notamment, où se concentre l’essentiel de la production de foie gras) puis plus au nord, autour de la Vendée, de la Loire-Atlantique et des Deux-Sèvres, où sont installés la plupart des couvoirs et des reproducteurs des filières de volailles françaises.

Au total, à l’heure où nous publions cet article, 1 265 élevages ont été contaminés et la Bretagne, plus grosse région de production de volailles en France, est désormais atteinte dans les départements de l’Ille-et-Vilaine et du Morbihan. L’épidémie est encore loin d’être stabilisée (...)

S’il veut mener ses poulets à l’abattoir pour espérer encore en commercialiser la viande, Olivier Gazeau doit effectuer au préalable 60 tests écouvillons, des prélèvements dans la gorge des volailles. Le coût d’une telle mesure pour la petite ferme ? 700 euros chaque semaine.

« Actuellement, je travaille à perte, lâche l’éleveur. Mais je préfère endosser le coût de ces tests plutôt que d’accepter la disparition pure et simple de mes volailles. Je veux prouver que mes bêtes sont saines et avoir le droit de continuer. Je ne suis plus dans la rentabilité, je suis dans la défense d’un modèle de production. »

Fin avril, Olivier Gazeau, comme les autres éleveurs du coin, n’aura plus droit d’avoir de volailles sur sa ferme. C’est le « vide sanitaire » imposé par la préfecture des Deux-Sèvres dans une ultime tentative d’éradication de l’épizootie. Pour mener ses dernières bêtes au terme de leur croissance, cependant, l’éleveur aurait besoin de les laisser vivre une quinzaine de jours au-delà de la limite imposée. Les autorités auront-elles cette souplesse ? Des actions collectives seront-elles nécessaires pour enrayer le massacre ? (...)

À l’heure où nous écrivons cet article, et alors qu’une bonne partie du monde est secouée par les répercussions agricoles de la guerre en Ukraine, ce sont environ 13 millions d’animaux, d’après les informations du ministère communiquées à Mediapart, qui ont été tués. Selon nos observations, jamais, dans l’histoire des maladies animales, la France n’a procédé à un tel dépeuplement.

Problème : la majorité des foyers épidémiques sont des élevages intensifs, c’est-à-dire des poulaillers fermés où sont entassées dix à vingt volailles au mètre carré. À aucun moment ce modèle de production n’a été pointé du doigt par le ministère. À l’inverse, les élevages de plein air sont censés appliquer, dans les zones dites à risque, des mesures de « mise à l’abri » des animaux depuis octobre. Mais très peu d’entre eux ont été vecteurs de la maladie. (...)

Alors que les services vétérinaires, sous-dotés pour faire face à une telle situation, se sont retrouvés complètement dépassés, les autorités sanitaires ont, selon nos informations, demandé par endroits à ce que la mise à mort des animaux se fasse par simple asphyxie : fermeture du poulailler, arrêt des ventilateurs, hausse du chauffage, attente… puis ramassage des cadavres et enfouissement sur place, au prix d’une détresse sans nom pour les éleveurs et les éleveuses.

Face à cette politique sanitaire menée sans concertation avec les personnes concernées, la colère a saisi toutes celles et ceux qui, attachés au bien-être animal et à la qualité de l’alimentation, défendent le modèle paysan. (...)

En plus des organisations agricoles traditionnellement mobilisées sur ces questions, un collectif s’est rapidement formé au début de l’année : « Sauve qui Poule ». Dans les régions d’élevage, il ne se passe plus une semaine sans manifestation pour tenter de sauver le modèle du plein air. En ce moment, la fronde est telle que l’on compte un rassemblement par jour devant une préfecture (...)

Beaucoup refusent de se plier aux ordres de l’État. Lors d’une précédente vague de grippe aviaire, en 2017, des éleveurs du Pays basque s’étaient déjà opposés aux abattages de leurs canards. Deux ans plus tard, ils avaient été relaxés.

« Nos volailles n’attrapent pas la maladie, assure Olivier Gazeau. Nous passons pour des hérétiques alors que c’est précisément en laissant les bêtes dehors qu’elles deviennent plus résistantes que dans le système industriel. Les animaux, ce sont des êtres vivants comme les humains : pour avoir de bonnes défenses immunitaires, il faut faire de l’exercice et manger des choses diversifiées. » (...)

Notre modèle de production n’est pas à négocier. Il est juste et il fonctionne.

Olivier Gazeau, éleveur de poulets plein air (...)

Entourée de ces fermes intensives, la résistance au modèle dominant persiste cependant, et reprend de la vigueur. À une dizaine de kilomètres de la ferme d’Olivier, Virginie Millasseau fait aussi partie de ces personnes attachées à un modèle de production qui a fait ses preuves. Dix-neuf ans dans le métier… Des animaux « jamais malades », zéro frais vétérinaires à l’année, et pas une difficulté économique à l’horizon. Même la nécessité ces jours-ci, du fait des abattages imposés, de vendre rapidement ses poulets pour éviter des pertes sèches ou que cela ne parte en croquettes à chiens, n’a pas ébranlé ses affaires.

« J’écoule habituellement toute ma production en vente directe et auprès des cantines de la commune, explique-t-elle. Ma clientèle a-t-elle compris qu’elle ne pourrait plus acheter de volaille les six prochains mois ? En tout cas elle a fait preuve d’une belle solidarité. Cette semaine, j’ai vendu deux fois plus que d’habitude. » (...)

Il lui reste environ 600 poulets dans ses trois poulaillers, dont l’accès à l’extérieur est désormais fermé. Un déchirement pour cette éleveuse de plein air qui a fini par se plier aux consignes grippe aviaire en raison du qu’en-dira-t-on dans le village. D’ici à la fin du mois, pour elle aussi, les bêtes devront être parties.

Pour cette agricultrice qui a repris la ferme de son père, à l’origine un élevage bovin, cette gestion de l’épidémie qui fragilise particulièrement le mode de production paysan est un non-sens. Elle a toujours vu les limites du système industriel, un système très lourd en investissements dans lequel producteurs et productrices subissent les prix de la grande distribution et où il n’y a aucun contact humain. (...)