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l’Humanité
Grand entretien avec Axel Kahn : « Contre le Covid-19, une couverture vaccinale de 60 % ferait la différence »
Article mis en ligne le 5 décembre 2020
dernière modification le 4 décembre 2020

Comment analysez-vous la gestion de la crise sanitaire depuis le début de l’année et notamment les deux confinements ?

Axel Kahn Le Covid-19 ne se transmet que par proximité avec une personne infectée. En l’absence de traitement, la seule arme disponible est la distanciation physique. Elle peut être sélective ou non sélective.

La première solution est accessible lorsque la circulation virale n’est pas trop importante et que l’on dispose de grandes capacités de tests et d’organisation du repérage des cas contacts. Elle consiste en le diagnostic, initialement grâce à la détection du génome viral dans le nasopharynx des sujets infectés, des tests systématiques aux frontières et dans les foyers naissants (clusters), une enquête épidémiologique pour remonter aux cas contacts et un isolement (quatorzaine au début de l’épidémie, septaine aujourd’hui) des personnes contaminées. Cette stratégie a été très opérante en Corée du Sud, Japon, Taïwan. En France, elle a permis de circonscrire les foyers de Haute-Savoie, du Morbihan et de Montpellier au début de l’épidémie.

La seconde approche est celle du confinement non sélectif de toute la population. Elle est la seule possible lorsque la circulation du virus est intense, ou bien quand on ne dispose pas d’une capacité suffisante de tests et de traçage (...)

En fait, la moitié de l’humanité a été confinée.

En France, l’explosion de l’épidémie après le rassemblement religieux de Mulhouse du 17 au 24 février a dépassé toutes les capacités de limitation des foyers et a conduit au confinement inéluctable de mars. La seconde vague épidémique de l’automne a frappé toute l’Europe, y compris l’Europe de l’Est, relativement préservée au printemps. Elle a été facilitée en France par une certaine insouciance à la suite du confinement du 17 mars au 11 mai. Et aussi par l’action de scientifiques très invités dans les médias pour diffuser leur message rassurant selon lequel rien ne se passait et qu’il n’était pas nécessaire de prendre des précautions. De ce fait, la circulation virale très basse le 11 mai a progressivement augmenté, d’abord chez les jeunes, puis, lentement, chez les sujets âgés et fragiles, plus sensibles à développer des formes graves. La rentrée universitaire a contribué à la remontée des infections. Fin octobre, le virus circulait dans toute la France, globalement plus qu’en mars. La seule possibilité pour éviter un confinement total au mois de décembre avec ses conséquences économiques et psychologiques redoutables était de faire baisser la circulation virale suffisamment en amont. Par conséquent de décider le second confinement, plus modéré que le premier mais d’une indiscutable efficacité quand même. (...)

Quels ont été les manquements au niveau des pouvoirs publics ?

Axel Kahn Le devoir de réserve du président de la Ligue contre le cancer que je suis lui interdit de prendre des positions de nature politique, idéologique, religieuse. Et aussi de se mêler au chœur des critiques des autorités aussi bien que d’en défendre l’action. Mes remarques seront par conséquent limitées à quelques items. En mars, en dehors de la Chine et des pays d’Asie qui ont la culture du port du masque, personne au monde n’en disposait en quantité nécessaire et suffisante. Pour autant, il était inutile de prétendre qu’ils ne servaient à rien. Les Chinois avaient averti les autres pays du monde de l’extrême vulnérabilité des personnes âgées au Covid. Les autorités françaises ont très tôt recommandé d’interdire les visites de la famille aux pensionnaires des Ehpad. Cependant, les personnels y travaillant n’ont pas été pourvus de protections supplémentaires, masques, surblouses, charlottes, etc. La mortalité a été considérable dans ces établissements.

Après la première vague, j’espérais que des dispositifs seraient mis en place qui permettraient lors de la seconde vague mieux qu’au printemps de certes soigner les formes graves de Covid mais aussi d’assurer la continuité des soins pour des personnes souffrant d’affections plus graves et plus fréquentes que le Covid, tels les cancers. Ces personnes malades ont été à nouveau des victimes collatérales du Covid. La démocratie en santé a été maltraitée dans l’urgence de la situation épidémique. Aux côtés du conseil scientifique chargé d’éclairer les décisions de l’exécutif, il est peu compréhensible qu’on n’ait pas installé un conseil de citoyens puisque les décisions prises avaient un impact fort sur la vie des gens. (...)

Souvent, le politique a la tentation de se défausser de ses responsabilités sur les experts. L’illustration absurde de cette dérive est l’affirmation par l’État que le maintien du premier tour des élections municipales en mars était la conséquence d’un avis du conseil scientifique. C’était une décision politique sous la pression des circonstances. À l’inverse, lorsque le président du conseil scientifique a annoncé que 18 millions de personnes fragiles ne seraient pas déconfinées le 11 mai, il empiétait sur une décision de l’État. Oui, en tout cas, l’exécutif a été correctement éclairé sur le plan scientifique durant cette période, le conseil scientifique est un comité d’experts reconnus de grande valeur. (...)

Les annonces récentes de vaccins contre le Covid-19 vont-elles vraiment permettre de sortir de cette crise et si oui, à quel horizon ?

Axel Kahn L’expérience de la pandémie depuis neuf mois a permis de faire deux observations : d’abord, nulle part ne s’est établie une immunité collective suffisante. Ensuite, le Covid est un peu le sparadrap du capitaine Haddock, on ne s’en débarrasse pas vraiment. Seul le confinement absolu et prolongé tel qu’un pays dictatorial comme la Chine peut imposer y parvient, mais les retours menacent en permanence. Seule la vaccination permettra d’obtenir, pour un temps, une immunité collective freinant vraiment la circulation virale sans distanciation physique trop stricte. Cela pourrait commencer d’être le cas vers la fin de l’année 2021 si les vaccinations débutent au premier trimestre. (...)

La réticence au progrès est devenue forte en France, je l’ai analysé ailleurs. Notre pays est celui au monde le plus rétif aux vaccinations et autres mesures sanitaires. C’est ainsi, on ne changera pas cela d’un coup de baguette magique. L’explication et la persuasion sont les seules armes disponibles. Cela dit, une couverture vaccinale de 60 % devrait être atteinte, elle ferait la différence. (...)

Pour éviter le yoyo confinement, allègement, reconfinement, re-allègement, etc., la solution est triple : maintenir un haut niveau de distanciation physique et de gestes barrières. Tester-tracer-isoler-protéger. L’isolement ne doit pas être un enfermement administratif « en cellule », il doit être accompagné, dédommagé MAIS EFFECTIF, au moins sept jours, jusqu’à négativation des tests antigéniques. Et enfin vacciner.
(...)

Aucune mesure au monde n’est susceptible d’éviter le retour de pandémies, notamment virales, le cas échéant sévères. Il y en a toujours eu depuis l’établissement de l’humanité, quatre au XX e siècle : grippe espagnole, 20 à 40 millions de morts (1917-1920) ; grippe asiatique, 2 millions de morts (1957) ; grippe de Hong Kong, 1,5 million de morts (1968-1970) ; sida, depuis 1980, 40 millions de morts.La pandémie de Covid-19 n’est que la première du XXI e siècle, ce ne sera pas la dernière.

La question est de disposer des services de santé publique et des dispositifs de soins susceptibles d’être rapidement mobilisés pour y faire face dans les moins mauvaises conditions.