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Les blogs d’Alternatives Économiques
Grand COR malade : toute prospective des retraites présupposant la croissance revient à pourrir la vie des futurs retraités
Jean Gadrey
Article mis en ligne le 19 décembre 2019
dernière modification le 18 décembre 2019

Beaucoup d’économistes et autres militants de gauche se battent bien en ce moment pour que Delevoye et Macron soient contraints à battre… en retraite. D’une part, leur projet de « réforme » est très régressif pour pratiquement toutes les catégories (si ce n’était pas le cas, on se demande pourquoi ils proposent d’en repousser la date d’application en espérant que les plus âgés se désintéressent du sort de leurs enfants ou petits-enfants). D’autre part, il ne répond à aucune nécessité sur le plan des comptes publics, c’est une réforme néolibérale poussée notamment par les banques et les assurances privées qui adorent nos gouvernants, et réciproquement.

Parmi les très bonnes interventions, voyez par exemple celles d’Henri Sterdyniak (retraites : un déficit imaginaire pour justifier la réforme, 2 décembre, 6 minutes très claires) et de Gilles Raveaud (La réforme des retraites se justifie-t-elle ? 26 minutes, abordant de façon tonique plusieurs questions de fond).

Une question est toutefois laissée en suspens aussi bien du côté des avocats de la réforme (très minoritaires dans « l’opinion ») que du côté de ses opposants, syndicats en tête, militants de gauche et écologistes, citoyens et citoyennes qui se sont peu à peu appropriés les enjeux et ont bien compris ce qui se tramait. C’est celle de la place des questions climatiques et plus généralement écologiques dans cette confrontation sociale et politique majeure. (...)

GRAND COR MALADE ET MACROÉCONOMIE FOSSILE

Le COR est malade. Malade (comme d’autres institutions d’expertise économique) d’une addiction indirecte et inconsciente aux énergies fossiles, via une addiction directe et consciente à la macroéconomie fossile. Cette dernière est fossile, d’abord, parce qu’elle s’appuie sur des concepts et des modèles hérités d’un passé révolu, celui des mal nommées Trente Glorieuses. Ensuite parce que, sans que cela apparaisse, ses hypothèses de croissance et de gains de productivité à l’infini sont dopées aux fossiles et à la destruction d’écosystèmes vitaux, lesquels ne sont pas infinis. Nulle part elle ne tient compte des dommages collatéraux (devenus centraux) de sa vénérée croissance ni de ces « gains » qui nous mènent à notre perte. (...)

Certains empêcheurs de croître en rond se posent toutefois la question suivante : des scénarios sur les conditions de vie et les revenus des retraité.e.s (et des autres) dans 10, 20, 30, voire 50 ans ignorant CE QU’ON SAIT (moyennant, ici aussi, des scénarios) sur les perspectives du changement du climat et de la biodiversité, est-ce bien sérieux ? Certes, les économistes mainstream ne savent pas faire autre chose, leurs modèles liant emploi, croissance, gains de productivité, salaires ou pouvoir d’achat datent du siècle dernier. Ils n’ont que ça dans leur boîte à outil et c’est ce qu’ils servent dans les rapports du COR et ailleurs. Raison de plus pour en finir avec ces économistes envahissants et leurs méthodes et croyances du passé faisant l’impasse sur ce qui sera probablement la plus angoissante « question sociale et humaine » de ce siècle. Et d’abord en finir avec le culte de la croissance sans fin (associée à celle des gains de productivité indéfinis), qui ressemble de plus en plus à une condamnation à perpétuité pour l’espèce humaine et le vivant.

CROISSANCE OU CLIMAT, IL FAUT CHOISIR (...)

C’est pourtant pure folie. Le gâteau en question, avec son cortège de dommages collatéraux, va devenir de plus en plus toxique, empoisonné, et par ailleurs, même si on cherche à le faire grossir, et surtout si on cherche cela, il va s’effondrer. (...)

Personne ne sait quand la croissance va s’arrêter puis plonger si on continue avec ces scénarios « à la COR » qui vont se heurter aux limites de la planète, mais cela a de bonnes chances de se produire bien avant les échéances lointaines du COR sur les retraites. Avec en prime le krach financier mondial dont la probabilité est « en pleine croissance ».

Et je n’ai pas parlé des perspectives de l’espérance de vie, dont le COR estime qu’elle devrait continuer à augmenter sans cesse, sans intégrer, une nouvelle fois, les impacts vraisemblables de la « crise écologique » que les scénarios du COR approfondiraient. (...)

Personne ne sait quand la croissance va s’arrêter puis plonger si on continue avec ces scénarios « à la COR » qui vont se heurter aux limites de la planète, mais cela a de bonnes chances de se produire bien avant les échéances lointaines du COR sur les retraites. Avec en prime le krach financier mondial dont la probabilité est « en pleine croissance ».

Et je n’ai pas parlé des perspectives de l’espérance de vie, dont le COR estime qu’elle devrait continuer à augmenter sans cesse, sans intégrer, une nouvelle fois, les impacts vraisemblables de la « crise écologique » que les scénarios du COR approfondiraient. (...)

« Que penser de l’idée même de « retraite », quand on nous rappelle quotidiennement que le monde dans lequel nous vivons est en train de s’effondrer ?... Toutes les promesses de retraite se heurtent à l’incrédulité des jeunes que nous sommes. Pour notre génération, une certitude : la retraite ne viendra jamais…

… En cherchant à toute force à éviter la « faillite » économique du système français de retraites (p. 5), la réforme Delevoye ne voit pas que sa faillite politique et écologique est programmée. La conclusion est simple : ou bien l’on revoit radicalement les bases du partage entre les générations, ou bien l’on continue de courir au suicide collectif… (...)

… Reste que ceux qui contestent la réforme des retraites – la plupart des centrales syndicales et la gauche – ont du mal à imaginer un monde différent. Ils discutent finalement dans un cadre économico-budgétaire très semblable à celui du gouvernement. Tous ou presque cherchent à « adapter » le système actuel bien peu à revoir ses fondements…

S’il faut faire le deuil de notre système de retraites, c’est pour mieux imaginer comment se réapproprier et partager les richesses. Des richesses qui ne sont pas qu’économiques ». (...)

Ma propre position, pour l’instant (car j’ignore comme tout le monde de quoi l’avenir sera fait), n’est pas qu’il faut « faire le deuil du système de retraite » mais qu’il faut travailler collectivement à une transition écologique et sociale solidaire de ce système. J’en ai évoqué certains aspects en 2010 dans le chapitre 14 (reproduit en annexe) de mon livre « Adieu à la croissance ».

Post Scriptum : « Special tribute » (hommage particulier) à Grand Corps Malade dans cette émouvante vidéo « course contre la honte » avec Richard Bohringer, enregistrée à la gare de Lyon, là où je me trouvais en 1995 quand Bourdieu a prononcé son « special tribute » aux grévistes et au mouvement social. (...)