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Reporterre
Graines de zizanie à Kokopelli : le semencier contesté poursuit un blogueur
Article mis en ligne le 14 octobre 2017
dernière modification le 13 octobre 2017

Kokopelli, association de promotion des semences libres, poursuit pour diffamation l’auteur d’un billet de blog. Celui-là y commentait un ouvrage de témoignages très critique des conditions de travail au sein de l’association semencière.

Ce vendredi 13 octobre, à Paris, Kokopelli se retrouve à nouveau au tribunal… mais du côté de l’accusation. L’association, habituée des palais de justice pour ses combats contre la privatisation des semences, poursuit un jardinier tarnais, formateur en permaculture de son état, pour diffamation. Son tort ? Un billet de blog au ton corrosif intitulé Pourquoi nous n’irons plus acheter nos graines chez Kokopelli. L’auteur de l’article, Daniel Vivas, y fait état de sa « rage » et de sa « consternation » à la suite à la lecture de Nous n’irons plus pointer chez Gaïa, un livre où quatre anciens salariés de l’association racontent comment ils ont été « exploités ».

« Nous refusons de tolérer la banalité du mal que constitue le rapport salarial, expliquent les auteurs de l’ouvrage, paru en mars dernier. Nous avons voulu pointer les décalages systématiques entre les discours et la réalité des pratiques commerciales et salariales. » Une réalité peu reluisante, distillée sous forme de témoignages. Cadences infernales, climat de suspicion entretenu par la direction, surveillance des salariés, injonctions au productivisme. (...)

« Faire une analyse critique d’un certain type d’écologie »

« Nous voulions témoigner d’un sujet tabou, qui dépasse le cadre de Kokopelli, mais qui se retrouve dans nombre d’associations : l’exploitation des salariés au nom d’une cause, aussi noble soit elle, et l’impossibilité de critiquer car il ne faut pas ternir l’image d’un mythe. » Contacté par Reporterre, Martin Lacroix, ex-salarié de l’association lorsqu’elle était basée à Alès (Gard), est l’un des auteurs. « Quand j’ai été licencié [l’association a licencié 13 des 16 salariés embauchés à Alès (Gard) lors du déménagement de la structure en Ariège en 2013], j’ai voulu tirer un trait sur cette expérience douloureuse, se rappelle-t-il. Mais j’ai été contacté par d’autres salariées ariégeoises qui m’ont décrit les mêmes conditions inadmissibles. Je me suis dis “qui ne dit mot consent”, et ça m’a décidé à entreprendre cette démarche d’écriture collective. »

Après trois ans de travail, l’ouvrage est donc publié en mars 2017 par Les Éditions du bout de la ville, une petite maison implantée au Mas d’Azil, le village ariégeois où Kokopelli a élu domicile depuis quatre ans. « Nous savions que nous nous exposions à une réplique de l’association, précise l’éditeur, Floréal Klein. L’idée n’était pas de les détruire ni de faire de la diffamation, mais bien de faire une analyse critique d’un certain type d’écologie. » Et de fait, la famille Guillet — qui a fondé l’association à la fin des années 1990 et dirige aujourd’hui la structure — n’attaque pas le livre. Comme elle n’attaquera pas l’article de CQFD, Kokopelli, c’est fini, publié en juin, ni celui du Canard enchaîné, « Graines de violence sociales », paru en juillet. (...)

Sur son blog, Kokopelli compile des témoignages en sa faveur. Le producteur de semences Alan Carter atteste ainsi « de l’excellent traitement », qu’il a toujours reçu. « Je ne pourrais imaginer un rapport plus juste et amical dans le milieu du travail. Je comprends qu’il y ait des personnes fâchées mais je ne comprends pas leur volonté de détruire un si beau [sic] édifice. » Sabrina, l’actuelle comptable, observe qu’elle travaille depuis 9 mois « sans pression, en toute autonomie auprès d’un responsable qui me fait confiance et en qui j’ai confiance ». Elle s’interroge ensuite : « Demander à ses salariés d’être productifs, il me semble que c’est normal ? On est là pour quoi ? Se faire les ongles et envoyer des textos à nos potes ? On croirait avoir à faire à des enfants pourris gâtés qui ne supportent pas l’autorité. » (...)

le 27 juillet, l’association demande par courrier recommandé le retrait de l’article. Pas de chance, M. Vivas est en vacances à ce moment-là. Et quand il prend connaissance de la demande et retire le billet, le 6 août, la ligne rouge est franchie. L’avocate de Kokopelli a déjà lancé la procédure pour diffamation. (...)

Le permaculteur s’insurge quant à lui contre « un procès ridicule, une tempête dans un verre d’eau ». « Je ne comprends pas très bien : j’exprime mon opinion sur mon site, avec certes des propos forts, mais je n’ai pas lancé ça gratuitement. » Pour Floréal Klein, l’éditeur, l’affaire est entendue : « La petite association, qui annonce fièrement un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros, attaque le petit jardinier plutôt que l’éditeur ou le Canard enchaîné. Cette plainte pourrait être comprise comme un avertissement à celles et ceux qui voudraient critiquer la structure et ses méthodes managériales. » « Nous sommes plutôt habitués au rôle du David contre le Goliath des multinationales, reconnaît Me Magarinos-Rey. Mais M. Vivas nous contraint, par la violence de ses propos, à réagir. Nous ne pouvons nous laisser offenser en laissant ainsi croire que l’offense est méritée. »