
Presque six mois après le début du mouvement des "gilets jaunes", alors que les plaintes se sont multipliées après les 1er et 8 décembre 2018 principalement pour des accusations de violences policières, aucune des enquêtes judiciaires ouvertes n’a pour l’instant débouché sur des poursuites d’agents devant un tribunal.
À ce jour, l’Inspection générale de la Police nationale est effectivement en charge de 229 enquêtes liées d’abord aux manifestations de "gilets jaunes" mais aussi aux rassemblements lycéens et aux incidents du 1er-Mai dernier.
Au total, une dizaine d’affaires sont déjà entre les mains de juges d’instruction pour des investigations plus poussées. Cinquante-neuf enquêtes ont déjà été bouclées par la "police des polices" et les dossiers ont été transmis aux parquets des Tribunaux de grande instance en vue d’ouverture d’information judiciaire avec nomination de juges d’instruction. Il peut s’ensuivre alors un classement sans suite ou bien un renvoi des suspects devant un Tribunal correctionnel. Mais pour l’instant, aucune des juridictions concernées n’aurait encore pris de décision.
Des enquêtes qui "prennent un peu de temps" selon Christophe Castaner
Interrogé sur franceinfo fin avril, le ministre de l’Intérieur assure que beaucoup de ces enquêtes ne sont pas encore terminées. "Ce sont des enquêtes judiciaires, elles prennent un peu de temps", répond Christophe Castaner. "C’est totalement intolérable" réplique, agacé, Arié Alimi, conseil d’une dizaine de victimes ayant porté plainte et avocat de la Ligue des droits de l’Homme.
"Quand un manifestant commet des violences sur des policiers, il est jugé et condamné parfois à de la prison en 48 heures. On ne peut pas comprendre que des policiers ne puissent être jugés pour des violences sur des manifestants" poursuit l’avocat. (...)
L’avocat parisien dénonce des "entraves systématiques", des retards qui lui semblent "inexplicables"... à moins d’y voir une volonté délibérée de ne pas faire aboutir certaines procédures. Arié Alimi affirme devoir mener un combat juridique de tous les instants pour obtenir des ouvertures d’instruction criminelle. (...)
Selon Maître Alimi, "on a, à Paris, une doyenne des juges d’instruction qui depuis plusieurs mois met tout en œuvre pour éviter que des instructions criminelles ne s’ouvrent. Par exemple, en fixant des consignations. C’est la somme, élevée, qu’on doit payer pour faire ouvrir une instruction criminelle, alors que ce sont des gens qui n’ont pas beaucoup d’argent. J’ai une personne qui doit payer 300 euros et qui ne peut pas et donc son enquête ne s’ouvre pas !" (...)
"Quand on demande l’aide juridictionnelle, on a des décisions qui font que l’aide juridictionnelle n’est pas attribuée parce que l’instruction n’est pas ouverte. Donc c’est complètement illégal ! Quand je dis qu’on a une attitude illégale de la part de l’institution judiciaire, je pèse mes mots. C’est dans le seul but d’éviter que des enquêtes soient ouvertes et qu’il y ait des poursuites contre les fonctionnaires de police ou de gendarmerie".
L’IGPN trop saisie et trop vite ?
La fréquence de la saisie de l’IGPN est l’une des explications avancées pour expliquer la lenteur des procédures. On l’a vu ces derniers mois, à chaque soupçon de violence policière, les procureurs ont ainsi saisi l’Inspection générale de la police nationale. (...)
"L’IGPN a obtenu quelques renforts ces dernières semaines mais il y a eu très clairement un embouteillage au début de l’année."
Trop vite ou trop tard : la saisie de l’IGPN suscite des questions dans les deux cas. (...)
Absence de preuves, non-dénonciation : des enquêtes compliquées
Une fois que l’enquête est ouverte, encore faut-il qu’elle donne des résultats. Or, pour certains dossiers manifestement sensibles, les investigations rencontrent des ralentissements. Dans l’affaire du Burger King à Paris, le 1er décembre 2018, des policiers ont frappé à terre, avec des matraques télescopiques, des manifestants qui étaient maîtrisés et qui n’ont pas été interpellés par la suite.
Dans ce cas précis, la "police des polices" a dû attendre de longues semaines avant que la hiérarchie CRS, qui se trouve pourtant dans les mêmes bâtiments du XIIe arrondissement de Paris, ne donne des précisions quant aux auteurs présumés des coups.
Selon les informations recueillies par France Inter, l’enquête est également très compliquée pour retracer les conditions du décès en décembre dernier de Zineb Redouane à Marseille, alors que cette femme âgée de 80 ans avait reçu une grenade en plein visage au quatrième étage sur le balcon de son appartement. Pourtant pérée en urgence, elle est morte à l’hôpital (...)
Des plaintes en ligne "difficiles à déposer" ? (...)
Sur les 229 dossiers actuellement en cours à l’IGPN, 143 dépendent du seul parquet de Paris. Selon nos confrères de L’Obs, sur les 290 plaintes déposées au total, 92 le sont pour des blessures liées à des tirs de LBD, 37 pour des grenades et 41 pour des coups de matraque.