
À l’intersection de l’histoire et de la philosophie, Geneviève Fraisse relate la manière dont le féminisme a percuté son existence personnelle et imprégné sa pensée
Parmi les critiques récurrentes auxquelles les féministes ont été confrontées tout au long de leur histoire, on trouve la relégation de leurs idées hors de la sphère de la pensée : quand les féministes prennent la parole, c’est le plus souvent du point de vue des hommes pour pousser des « cris », éventuellement pour exprimer des sentiments, au mieux pour tenir un discours militant — mais assurément jamais pour formuler une pensée.
En affichant comme titre « le féminisme, ça pense ! », cet ouvrage n’entend pas seulement ébranler la surdité des hommes, mais encore mettre au jour la manière dont la pensée féministe se construit et s’élabore à l’intersection entre une histoire collective (celle de la philosophie féministe) et un itinéraire personnel. (...)
Ego-philosophie
La perspective adoptée dans ce livre n’est pas une analyse distante et objective d’un objet théorique ; il s’agit plutôt de ce qu’on pourrait appeler une « ego-philosophie ». Car l’ambition qui est celle de Geneviève Fraisse de découvrir l’objet philosophique de la pensée féministe n’est pas séparable de sa trajectoire personnelle. Non pas que l’autrice se contente d’examiner l’impact de cette philosophie sur sa vie et son œuvre personnelles, mais qu’elle s’efforce d’en déplier les différentes déclinaisons et d’en rapporter les nombreuses orientations à un ensemble de rencontres et de luttes déterminées.
Par « ego-philosophie », on pourrait ainsi entendre le récit de la manière dont une série de processus croisés ont pu donner corps à un ego, à un sujet individuel. (...)
Tout au long de l’ouvrage, l’autrice est en dialogue avec d’autres philosophes qui ont nourri sa propre pensée et qui l’ont conduite à faire la généalogie des dominations : Simone de Beauvoir, notamment, mais aussi Michel Foucault ou Jacques Rancière.
Fréquentations philosophiques et politiques
La singularité de l’ouvrage tient à la manière dont il éclaire a posteriori les circulations que l’autrice a toujours maintenues dans sa carrière entre dedans et dehors, théorie et pratique, philosophie et histoire. (...)
C’est sur cette expérience politique que se conclut le livre : « Je n’ai jamais voulu prendre le pouvoir nulle part », déclare l’autrice. Par là, elle veut signifier que son parcours, qui l’a conduite à travers différentes structures, à prendre part à des collectifs désormais disparus, à mener des mandats désormais achevés, l’a finalement installée dans une position de perpétuelle « colporteuse » : chargée de son bagage personnel et intellectuel, elle examine partout où elle passe, dans la vie privée ou la vie publique, le sens de l’égalité.