
Si jusqu’alors, les amours de Gabriel Matzneff pour « les moins de 16 ans » n’avaient jamais ébranlé le monde de l’édition ou de la justice, la sortie prochaine du premier ouvrage de Vanessa Springora, Le consentement, semble bien changer la donne. Après avoir remué les réseaux sociaux et les médias, c’est au tour des pouvoirs publics de se saisir de l’affaire.
Alors que Franck Riester s’est récemment exprimé sur Twitter, annonçant qu’il coupera l’allocation du Centre national du livre dont bénéficie l’auteur, c’est au tour du secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, Adrien Taquet, de mobiliser ses troupes.
Il a affirmé au Journal du Dimanche avoir « demandé à [ses] services de voir si des suites judiciaires pouvaient être envisagées » contre Gabriel Matzneff ou ses ouvrages. Mais voilà, si les crimes sexuels disposent d’un délai de prescription passé de 20 à 30 années en 2018, nombre de victimes sont alors dans l’impossibilité de porter plainte.
Pour rappel, si Vanessa Springora est la première à être sortie du silence, affirmant qu’elle a été victime d’une relation abusive, elle n’a pour autant jamais porté plainte contre l’écrivain, aujourd’hui âgé de 83 ans. Elle explique dans Le consentement n’avoir jamais réalisé la gravité de ses actes auparavant.
« Elle dit qu’en effet, elle avait 13, 14 ans, qu’elle était entre guillemets consentante, et que c’est pour ça qu’elle n’a pas pu exprimer plus tôt son dégoût, qu’elle n’a pas porté plainte contre Matzneff. Mais elle le dit fort justement, il y a une sorte de fascination pour le prédateur qui fait qu’elle n’a pas osé le dénoncer », explique la journaliste et écrivaine Françoise Laborde à France Info.
Une interdiction des livres de Matzneff ?
Si l’écrivain, pourtant ouvertement accusé de relations avec des mineurs, ne semble pas condamnable du point de vue de la justice, ses ouvrages se heurtent eux aussi à un délai de prescription. (...)
Les livres polémiques de Matzneff comme Les Moins de seize ans paru en 1975 ou Mes amours décomposés en 1990 sont alors quasiment impossibles à faire interdire.
Seule une nouvelle réédition des ouvrages pourrait rouvrir le délais de la prescription, explique Maitre Éric Morain à Europe 1. « Cela permettrait soit à des associations soit à des personnes directement visées de pouvoir agir en justice pour les faire interdire, ou faire reconnaître qu’elles contiennent des passages offensants, que ce soit des atteintes à la vie privée ou des apologies de crimes ou de délits en l’occurrence la pédophilie. »
Autre possibilité, une « mesure administrative, née de la loi de 1949 sur la protection de la jeunesse », précise à son tour Maitre Basile Ader, spécialiste du droit de la presse. « Elle permet au ministère de l’Intérieur, par arrêté, non pas d’interdire l’ouvrage, mais d’interdire sa diffusion à tout public et d’en faire la publicité. » Raté, pour ce qui est de la promotion : depuis 8 jours, le nom de l’écrivain est dans tous les médias... (...)
Des associations en lutte, un auteur dans le déni
Face à des possibilités aussi peu convaincantes, certaines associations essaient de militer seules, et ce, avant même le déferlement de l’affaire ces dernières semaines. Déjà en 2014, Innocence en danger avait déposé une plainte contre X pour « apologie d’agression sexuelle » après avoir réclamé le retrait du prix Renaudot décerné à Gabriel Matzneff pour Séraphin, c’est la fin, en 2013. Une autre association, du nom de La Mouette, avait même lancé une pétition pour ce retrait. (...)
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(...) Devenu l’objet de toutes les attentions, et des condamnations les plus dures désormais, Gabriel Matzneff bénéficiait depuis plusieurs années d’une aide apportée par le Centre national du livre. Cet établissement sous tutelle du Ministère de la Culture disposait en effet et jusqu’à intervention de la Cour des comptes, d’allocations spéciales, annuelles et renouvelables. (..)
Certainement sera-t-il par la suite demandé que son insigne d’officier des arts et de lettres, remise par Jacques Toubon, alors ministre de la Culture en 1995, soit retirée…
Une allocation aux origines oubliées
Quant à l’aide apportée, elle relève d’allocations renouvelables, que l’on retrouve bien dans le rapport d’activité du Centre national du livre, mais globalisées : comme toutes les aides sociales, le nom du, ou de la bénéficiaire n’y figure pas. Cependant, comme nous l’expliquions, le système a été arrêté en 2013, sur demande expresse de la Cour des comptes. (...)
Parmi les critères, l’auteur en question doit êtrete âgé de plus de 65 – indication significative pour ce qui est du cas Matzneff – avec des sommes attribuées de 3000 € à 24.000 €
Depuis 2013, plus de nouveaux entrants, mais « ceux qui y sont, y demeurent jusqu’à leur décès », indique un ancien du Centre. Comment l’obtenir ? Plus personne ne se souvient vraiment (...)
Depuis combien de temps Gabriel Matzneff, aujourd’hui âgé de 83 ans, était-il bénéficiaire de cette aide ? Pour quel montant ? C’est ce que l’administration va définir à présent. L’attribution remonterait, selon nos informations, à une époque antérieure à la présidence de Benoît Yvert, qui fut président du CNL entre 2005 et 2009.