Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Faute de logement, des mères restent à l’hôpital avec leurs enfants
#hebergement #115 #hopital #seinesaintdenis
Article mis en ligne le 7 décembre 2022
dernière modification le 6 décembre 2022

À l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis, sept femmes sont accueillies sans raison médicale. En cause : la saturation de l’hébergement d’urgence. Maïrame, mère d’un bébé de cinq mois, témoigne. 

Cela fait une semaine et demie que Djibril*, un bébé de presque cinq mois, est guéri de la bronchiolite qui l’a mené aux urgences de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Il aurait dû sortir du service pédiatrie et libérer une chambre en pleine épidémie de cette maladie respiratoire infantile.

Mais avec sa mère Maïrame*, 42 ans, et ses deux autres enfants de 7 et 2 ans, ils n’ont nulle part où aller, malgré des appels quotidiens au 115 qui gère l’hébergement d’urgence. Maïrame est épuisée, n’a pas dormi convenablement depuis des jours et s’alimente à peine, tenaillée par l’angoisse. 

Depuis son arrivée en France en juin, c’est aussi la désillusion. « On m’a toujours dit que la France prend soin des enfants et là on se retrouve avec eux dans la rue, je suis choquée. »

Maïrame a un parcours sinueux. Venue du Sénégal, elle a traversé plusieurs pays pour arriver au Maroc, où elle apprend qu’elle est enceinte d’un troisième enfant. Son mari a été arrêté. Elle a décidé de poursuivre son parcours et a embarqué seule sur un petit bateau avec ses deux enfants. (...)

Après quatre jours sur l’eau, dans des conditions terribles, la famille arrive en Espagne. Maïrame ne souhaite pas rester dans ce pays, elle parle français. La mère imagine que sa vie sera plus facile dans un pays dont elle maîtrise la langue.

Elle rejoint la France en juin. Elle est hébergée quelque temps par une association qui l’aide à se loger dans une chambre. À la sortie de la maternité, l’assistante sociale lui trouve un hébergement pour dix jours à Saint-Denis. La mère appelle le 115 chaque jour pendant ce temps-là.

Maïrame accouche à l’hôpital Delafontaine en juillet et reste dix-huit jours à l’hôpital. Pendant ce temps, ses deux aînés sont placés dans un relais parental de la Croix-Rouge. « Je pleurais tout le temps, c’était la première fois que j’étais séparée de mes enfants. »

Elle fait une demande d’asile. Le temps de l’examen de sa demande, elle s’installe à Besançon (Doubs). Déboutée, elle reçoit un courrier qui lui enjoint de retourner en Espagne, le pays qui a pris ses empreintes pour la première fois. Elle doit quitter l’appartement précipitamment et décide de venir en région parisienne, où elle se dit qu’il sera plus facile d’être aidée. À la gare, à la mi-novembre, elle rencontre un homme ému par son désarroi, dit-elle, qui accepte de les héberger. À peine arrivé, son bébé Djibril a des difficultés à respirer.
Une situation chronique et récurrente

Direction les urgences. Il est hospitalisé pour une bronchiolite. Maïrame n’a nulle part où laisser ses autres enfants, elle les fait venir auprès d’elle. « Ils ne pouvaient pas entrer dans la chambre, ils jouaient devant les ascenseurs. » Au bout de cinq jours, Djibril est guéri.

La mère est obligée de révéler sa situation à l’équipe médicale qui l’interroge. (...)

Finalement, le chef de service lui attribue une chambre double. Elle peut enfin prendre une douche. (...)

Le chef des urgences pédiatriques de l’hôpital Delafontaine, Simon Escoda, a décidé de garder Maïrame dans son service tant qu’une solution ne sera pas trouvée. Ce n’est pas la première fois que l’établissement se retrouve dans cette situation et il ne s’est pas vraiment posé la question avant de le faire.

« On ne peut pas mettre dehors une femme qui a du diabète ou de l’hypertension. On ne voudrait pas non plus qu’un bébé meure de froid. » Le chef du service de pédiatrie (...)

le système d’hébergement dans le département est saturé.

À la maternité de Delafontaine, décrit le chef de service Stéphane Bounan, sept patientes sont hospitalisées à l’heure actuelle, « alors qu’il n’y a plus d’indication médicale ». Trois d’entre elles n’ont pas encore accouché, les quatre autres sont en suite de couches. Cela fait trente jours que la plus ancienne est là. L’année dernière, une femme est restée cinquante-cinq jours. (...)

La période est tendue et l’hôpital est en piètre santé. De fait, alors que les lits manquent, cet accueil d’urgence complique quelque peu le fonctionnement du service. (...)

L’équation est insoluble. Du côté de la maternité, en moyenne, une femme qui accouche par voie naturelle sort au bout de trois jours, cinq pour une césarienne. « Si une mère sans abri reste un mois dans le service, cela correspond à dix femmes qu’on aurait pu accueillir. » Surtout, Delafontaine est une maternité de niveau 3, équipée pour les soins de néonatologie et pour la réanimation néonatale. 

Alors, chaque jour, Stéphane Bounan prie les assistantes sociales et le directeur de l’hôpital – « concerné mais qui fait ce qu’il peut » – de trouver une solution à « ce scandale ». Car gérer cela en plus du reste produit une charge de travail chronophage, sans compensation financière.

Tous les acteurs associatifs reconnaissent que ces difficultés d’hébergement d’urgence atteignent des proportions rares au moment où les températures fléchissent.

À tel point que l’association Interlogement93, qui fédère quarante-deux associations du département et gère le 115 et les hébergements d’urgence disponibles, vient de pousser un cri d’alarme (...)

Les capacités d’hébergement, en tension chronique, sont saturées. Aucune marge de manœuvre n’est possible. (...)

Sous la pression des associations et de plusieurs élu·es, le ministre du logement Olivier Klein a annoncé le maintien d’un peu moins de deux cent mille places d’hébergement en France pour l’année 2023 et a décidé de réinscrire 40 millions d’euros sur le budget consacré à l’hébergement d’urgence.

Mais aucune création de places en vue, et le gouvernement a décidé de mettre fin à la « gestion par le thermomètre » qui permettait de créer de manière temporaire des places par grand froid. « C’était une sorte de sas qui nous permettait d’accueillir de manière totalement inconditionnelle les personnes très rapidement. »

Pour compenser, des places pérennes doivent être créées. Seulement, estime Valérie Puvilland, une telle entreprise prend beaucoup de temps. Et souvent, ces places sont dédiées à un type de public spécifique, comme les femmes victimes de violences conjugales ou avec des enfants de moins de trois ans. « Or les demandes que nous enregistrons concernent bien souvent des couples avec enfant », explique la directrice du Siao. (...)

il devient de plus en plus difficile de dégoter des places d’hébergement dans les hôtels qui ne veulent plus s’engager au-delà de quelques nuitées, racontent les acteurs associatifs. Les touristes, éloignés par les restrictions sanitaires, sont revenus et, surtout, la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques de 2024 se profilent. Des hôteliers n’ont pas renouvelé les conventions avec le 115 pour rénover leurs établissements et accueillir un public plus classique. (...)

À l’hôpital Delafontaine, Simon Escoda explique que la situation se complique. Il faudra songer à aménager une grande salle de réunion en zone d’hébergement collectif, surveillée par un vigile pour accueillir ces mères et leurs enfants et pouvoir ainsi libérer des lits.