
C’est le choix fait par certaines villes comme San Francisco. En seulement 50 ans, la bouteille d’eau en plastique a envahi la planète. Peut-elle devenir un objet du passé ?
1968. Sur une demande d’Air France, Vittel conçoit une bouteille d’eau pour les plateaux repas des passagers. Plus légère, plus adaptée aux voyages. La toute première bouteille d’eau en plastique est née. L’innovation technologique séduit, la concurrence suit, le PVC se généralise, les bouteilles en verre sont abandonnées.
2006. Le nombre de bouteilles en plastique (le PET a remplacé le PVC) vendues dans le monde atteint… 300 milliards. En 2016, il s’en vend 480 milliards. Un million s’en écoule chaque minute ! L’explosion des ventes est due en majorité à celle, spectaculaire, des ventes de bouteilles d’eau. D’ici la fin de la décennie, selon le rapport Euromonitor International, relayé en 2017 par le Guardian, il devrait s’en vendre 500 milliards. Le coût écologique de chaque bouteille se cache à toutes les étapes (...)
Trois litres d’eau sont utilisés pour produire une bouteille d’un demi-litre. En Europe, 42% des bouteilles plastiques ne sont pas recyclées. Beaucoup finissent dans les océans où elles mettent entre 100 et 1 000 ans à se dégrader. Le fléau écologique est de plus en plus dénoncé, la life in plastic n’est plus fantastique, mais reste pratique.
2019. La canicule frappe la France en juin, puis en juillet. « Hydratez-vous » s’affiche en lettres capitales sur les panneaux d’affichage. Dans les gares, des milliers de bouteilles d’eau sont distribuées gratuitement aux passagers. Sur les autoroutes, en cette fin juillet, un stock de plus de 100 000 bouteilles a été constitué pour donner à boire aux automobilistes. Idem dans des écoles, maisons de retraite, et bon nombre d’événements en extérieur. (...)
Ainsi dans les cas de force majeure, la pollution plastique semble tolérée. En juin, le nombre de bouteilles d’eau écoulées par les passagers d’un train pendant la canicule choque un journaliste de The Economist : il pointe la contradiction d’un pays qui cherche à donner l’exemple en matière d’écologie mais reste le « pays des bouteilles d’eau ». (...)
Alors que fait-on ? Pour s’attaquer au fléau des bouteilles d’eau en plastique, faut-il y aller franco, et suivre San Francisco ? Ou encourager, pour l’instant, le retour à la consommation d’eau du robinet et des fontaines publiques ? (...)
Il n’est pas interdit d’interdire
A San Francisco, la vente et la distribution de petites bouteilles d’eau en plastique sont interdites dans tous les espaces publics de la ville, dans le cadre de tous les événements (festivals…) qui y sont organisés, et au sein de toutes les administrations. Adoptée en 2014 alors qu’une « partie de la population ne pouvait pas imaginer la vie sans bouteilles d’eau en plastique », puis élargie en 2017, l’interdiction se fait dans la lignée de l’objectif, pris en 2002, du « zéro déchet » envoyé en décharge ou en incinérateur.
Surtout, elle n’a pas été imposée sans que de nombreuses fontaines d’eau supplémentaires soient installées. (...)
La municipalité n’a pas simplement restreint les ventes, mais travaille à ce que tous ses habitants aient accès à une eau potable de qualité », note un reportage du Guardian vantant les mérites d’une ville pionnière de la « fin de la culture de l’eau en bouteille ». (...)
Pionnière en tant que grande ville, San Francisco n’est pas un cas isolé. La bourgade australienne de Bundanoon, 3 000 habitants, revendique son titre de première ville au monde à avoir interdit la vente des bouteilles d’eau, dès 2009. Là-bas, contrairement à San Francisco, les commerçants sont aussi concernés par l’interdiction. Idem à Concord, au bord de l’étang de Walden, dans le Massachusetts. (...)
« La ville réaffirme l’eau comme un bien public plutôt que comme une marchandise qui peut être achetée et vendue par les entreprises », se félicite la représentante de l’ONG Corporate Accountability International, qui a soutenu la mesure. (...)
plus de 100 villes américaines ont aujourd’hui adopté des mesures pour restreindre les dépenses en bouteilles d’eau au sein des administrations, la vente est interdite dans la plupart des parcs naturels, et dans de nombreuses universités, recensées par l’association Ban The Bottle. Au Canada, l’université McGill (après 8 ans de mobilisation des étudiants), l’université de Toronto, l’université d’Ottawa et de nombreuses autres ont récemment interdit la vente d’eau embouteillée.
La France, pays des bouteilles d’eau
Quid du « pays des bouteilles d’eau » qui consternait notre confrère anglais cité plus haut ? Les villes n’y ont pas le même pouvoir. Le préfet réglemente la commercialisation des eaux en bouteilles, et « ne peut les retirer de la vente qu’en cas de risque pour la santé publique », jugeait un avocat spécialiste du droit des collectivités interrogé en 2013 par TerraEco au moment de l’initiative de Concord.
En réalité, la bataille contre la bouteille d’eau s’organise, mais autrement, et il est vrai, doucement. Il y a d’une part les initiatives privées. Depuis le 1er janvier 2017, Biocoop ne distribue plus d’eau en bouteille plastique dans aucun magasin de son réseau, une solution adoptée « après plusieurs années de débats et d’études de solutions alternatives ». (...)
Cette décision de « décommercialisation » à grande échelle est une première en France mais fait suite à une initiative similaire de la chaîne de grands magasins Selfridges au Royaume-Uni, rappelle ZeroWaste. (...)
les villes reprennent le contrôle de leur eau. Le JDD recense les exemples des collectivités ayant tourné la page du privé pour gérer elles-mêmes leurs services des eaux. (...)
Début juin, Eau de Paris a lancé en partenariat avec Surfrider Foundation une campagne (Parisdeleau.fr) avec notamment la distribution gratuite de 50.000 gourdes fabriquées à partir de canne à sucre et de bambou. Les Parisiens sont renvoyés vers une carte qui cartographie les 1200 points d’eau potable de la ville. (...)
A l’échelle nationale, si l’UE a voté l’interdiction des plastiques jetables en 2021, les bouteilles d’eau en plastique ne sont pas concernées. Seule restriction à l’horizon pour l’eau embouteillée, celle prévue dans la restauration scolaire (...)
Pour le reste, l’arrêt des mises en vente n’est pas d’actualité… Le gouvernement mise sur la consigne. Doit en effet figurer dans le projet de loi anti-gaspillage, qui prévoit un objectif de 100% de recyclage des plastiques d’ici 2025, le retour de la consigne pour les canettes et pour les bouteilles en plastique. Un montant sera associé à la bouteille en plastique achetée, et sera restitué avec l’emballage : soit le système qui existait pour le verre en France dans les années 1960… avant que celui-ci soit remplacé par le plastique. (...)
Alors la bouteille d’eau en plastique, un (futur) vestige du passé ? Le chemin semble encore long. Le 12 juin, Pepsi annonçait qu’il passait du carton au plastique pour ses jus Tropicana, pour concurrencer Coca-Cola. Le plastique est encore loin d’être devenu l’ennemi public n°1, et l’horizon d’un désamour des consommateurs n’est pas prêt d’affoler les marques d’eaux minérales (le leader, Nestlé Waters, en possède 72). Ceci dit un autre marché, en pleine croissance, semble suggérer que le vent tourne : celui des gourdes, propulsées subitement comme « objets tendance ». Celui-ci, selon Transparency Market Research devrait croître chaque année de 4 % pour atteindre quelque 10,7 milliards de dollars en 2027… On pourra dire alors : fontaine, je boirai de ton eau.