
Pour la politologue Fatima Ouassak, qui publie « Pour une écologie pirate », la liberté de circulation entre Sud et Nord est une question écologiste cruciale dans un monde en bouleversement.
Reporterre — La liberté est au cœur de votre livre, et notamment la libération de la terre. Vous développez une idée originale : dans les quartiers populaires, ce qui se joue, c’est la question de la terre.
Absolument. Lorsqu’on demande aux habitants des quartiers populaires pourquoi ils ne s’engagent pas sur le front écologiste, on oublie qu’on a affaire à des gens qui ne sont pas considérés comme étant chez eux là où ils habitent. Je qualifie même les populations des quartiers populaires de « sans terre ». Elles sont là depuis plusieurs générations et, pourtant, n’ont pas de rapport sensible, charnel, affectif, à la terre. On les désancre, c’est-à-dire qu’on leur répète à longueur de temps qu’elles ne sont pas ici chez elles, que cette terre n’est pas la leur.
C’est le débat qu’a imposé l’extrême droite dans le débat public, celui de la remigration. À cette question, le camp progressiste n’a rien d’autre à opposer que l’utilité des populations des quartiers populaires : « Respectons cette population, acceptons-la, tolérons-la, parce qu’elle est utile. » C’est une forme de sous-humanisation : cette population n’est légitime à être en France et en Europe que dès lors qu’elle est utile au capital. (...)
Il faut pouvoir se sentir chez soi pour pouvoir protéger cette terre. Ce que je dis à mes enfants, ce que nous pouvons dire à cette population, nous, militants des quartiers populaires, militants politiques, militants écologistes, c’est : vous êtes ici chez vous ! (...)
Pourquoi n’aurait-on pas le droit dans les quartiers populaires d’accueillir les nôtres, nos familles, nos amis restés au pays ? On ne sera chez nous en Europe que dès lors qu’on pourra accueillir les nôtres. (...)
On ne peut se sentir chez soi quelque part que si on peut s’en échapper. (...)
« La liberté de circulation est un angle mort du champ écologiste » (...)
dans le champ politique et dans le champ écologiste, il n’y a pas assez de réflexion autour d’une sortie du capitalisme et d’un projet de lutte contre le réchauffement climatique du point de vue des Africains et des Africaines. (...)
Penser les luttes anticoloniales dans une perspective anticapitaliste et écologiste, permet d’avoir un peu d’espoir. En Europe, l’angoisse dans laquelle nous sommes face aux désastres climatiques est liée paradoxalement au fait qu’on pense qu’on va sauver l’humanité, qu’on va sauver le monde, qu’on va sauver le vivant, la biodiversité. Tout ne viendra pas de l’Europe. Ça viendra aussi des Sud et de l’Afrique. (...)
L’Afrique ne se contente pas d’attendre qu’on vienne la sauver, les populations se battent, réfléchissent, il y a aussi une pensée, des philosophies africaines, écologistes qu’il faut entendre. (...)
Je me situe dans le camp écologiste. Donc je m’adresse à mon camp de la façon la plus constructive possible, parce que l’urgence l’impose. Le camp progressiste écologiste, la gauche, n’est pas à la hauteur parce qu’il n’y a pas d’internationalisme. L’internationalisme affirme que puisque tous et toutes aujourd’hui dans le monde ne peuvent pas circuler librement, nous ne sommes pas libres. (...)
La question coloniale n’est pas une question parallèle à la question écologique, c’est la même question, celle de la terre, de la liberté, de l’égale dignité humaine, de la justice. (...)
Lire aussi :
– (Editions La Découverte)
Pour une écologie pirate
Et nous serons libres
Fatima Ouassak
Nous manquons, aujourd’hui en Europe, d’un projet écologiste capable de résister aux politiques d’étouffement, dans un monde de plus en plus irrespirable.
D’un projet initié dans les quartiers populaires, qui y articulerait enfin l’ancrage dans la terre et la liberté de circuler.
D’un projet dont le regard serait tourné vers l’Afrique et qui viserait à établir un large front internationaliste contre le réchauffement climatique et la destruction du vivant. D’un projet qui ferait de la Méditerranée un espace autonome et un point de ralliement des mutineries du Nord comme du Sud.
D’un projet se donnant comme horizon à la fois la libération des terres, la libération animale et l’égale dignité humaine, fondamentalement liées.
D’un projet assumant la sécession face à des forces d’extrême droite toujours plus menaçantes. (...)