
Expulsé le 9 août, sur la base d’un arrêté litigieux abrogé peu après, Luc est revenu en France pour y être à nouveau arrêté. Il a été à nouveau expulsé sur la base d’un nouvel arrêté, qu’il conteste. Le ministère de l’Intérieur explique que l’homme est soupçonné d’exactions lors du sommet du G20 à Hambourg en 2017
Dans une décision consultée par CheckNews, le tribunal administratif de Paris condamne l’état à verser 1000 de frais judiciaires à Luc mais ne statue pas sur l’interdiction administrative de territoire. Et pour cause : le 14 août, le ministère de l’intérieur a abrogé l’arrêté du 18 juillet 2019, qui interdisait à Luc d’être en France et dont il avait uniquement pris connaissance lors de son arrestation le 8 août. Luc a donc été expulsé à cause d’un arrêté litigieux. De fait, une telle interdiction administrative du territoire ne peut être prononcée contre un citoyen européen qui réside en France.
Lors de l’audition, l’avocate comprend toutefois que le ministère de l’intérieur souhaite prononcer un nouvel arrêté contre Luc. Craignant d’être de nouveau expulsé de France, mais souhaitant tout de même savoir s’il peut tout de même travailler comme saisonnier près de Dijon puis se rendre à Hendaye pour Radio Dreyeckland, Luc raconte à CheckNews qu’il s’est rendu lundi 19 août à la frontière franco-allemande, d’abord du côté allemand, à Kehl, puis à l’hôtel de police de Strasbourg pour vérifier sa situation : « ils ont tapé mon nom dans un ordinateur, mais ils n’ont rien trouvé qui m’interdisait d’être en France. J’ai aussi découvert que je faisais l’objet d’une fiche S, alors que je n’ai jamais été condamné en France ». Il indique avoir cependant été condamné pour des « délits mineurs » en Allemagne, liés à son activisme politique « de gauche », comme « l’occupation d’un bâtiment ».
Luc se rend dans un commissariat Strasbourg pour vérifier sa situation
Ne se voyant signifier aucune interdiction formelle de rester en France, Luc se rend mardi 20 août chez son employeur près de Dijon pour lui expliquer sa situation. Ce jour-là, Radio Dreyeckland publie un communiqué : « Luc, un pigiste de Radio Dreyeckland, a pu entrer en France hier, lundi. La situation n’est toutefois pas claire : malgré les demandes directes des fonctionnaires de la zone frontalière, Luc n’a reçu aucune information sur une décision du ministère français de l’Intérieur. Bien qu’il y ait une nouvelle décision sur son droit de séjour, ni Luc ni son avocat n’ont pu la voir. Tout d’abord, il a été dit que le contenu du nouveau document ne lui serait communiqué qu’en cas de nouvelle tentative d’entrée. Cependant, malgré une visite dans un poste de police français, Luc n’a reçu aucune autre information. »
Le mercredi 21, il se rend à Paris pour prendre le train à Montparnasse en fin d’après-midi afin de rejoindre Hendaye, où se tient le contre-camp du G7. Nous nous sommes entretenus avec lui, ce jour-là, pour la première fois au téléphone. Il ignorait toujours s’il faisait l’objet d’une interdiction de territoire mais estimant qu’elle ne lui a jamais été signifiée et qu’il a fait l’effort de se renseigner le lundi auprès des policiers strasbourgeois, il monte à bord du train.
Quelques minutes après notre entretien avec Luc, le ministère de l’intérieur nous indique qu’« une nouvelle interdiction administrative de territoire a été prise, et a été notifiée à l’intéressé par voie postale, à l’adresse en Allemagne qu’il a déclarée lors de son audition ». Nous rappelons alors Luc, qui dément avoir reçu un tel courrier durant les 10 jours où il se trouvait à son adresse allemande, à Fribourg.
Deuxième expulsion en Allemagne depuis Biarritz
Jeudi 22 août, alors que Sud Ouest annonce l’expulsion d’un Allemand arrêté à Saint-Jean-de-Luz et que le téléphone de Luc ne décroche pas, CheckNews appelle son avocate, Me Ruef, qui nous indique qu’il a été arrêté mercredi soir et placé « en rétention, pas en garde à vue », lui aussi à Saint-Jean-de-Luz, mais qu’il n’est pas encore expulsé. Elle n’a pas eu connaissance du nouvel arrêté lui interdisant d’être en France jusqu’au 26 août. CheckNews prend contact avec le ministère de l’intérieur pour avoir des détails sur la nouvelle interdiction administrative de territoire. Quand a-t-elle été décidée ? Quand lui a-t-elle été envoyée ? En vain : le service de presse de la place Beauvau répète ce qui nous avait été indiqué par mail, sans pouvoir nous donner les dates du nouvel arrêté ou de sa notification à l’Allemand. Tout juste, une porte-parole du ministère nous rappelle que « ce monsieur a commis des choses graves », qui justifient que « dans le cadre du G7, le ministère emploie des moyens juridiques », comme l’interdiction administrative de territoire, « pour empêcher de faire venir des éléments dangereux en France ». Qu’a-t-il commis de si grave ? Le ministère répond à côté avant d’admettre qu’il s’agit des soupçons de violences à Hambourg et le contrôle près de Bure.
Finalement, ce vendredi 23 août, nous tentons notre chance auprès de Luc, qui décroche son téléphone : « Je suis de retour dans le sud de l’Allemagne. J’ai été expulsé hier soir de Biarritz à Stuttgart dans une sorte de jet privé, après avoir passé 18 heures en rétention administrative. J’ai été emmené dans un centre près de Biarritz [il s’agit du centre de rétention administrative d’Hendaye], dans une pièce où il n’y avait pas de fenêtre. Ils m’ont mis des menottes à plusieurs reprises lors de cinq déplacements, alors que mon avocate m’a dit que ce n’était pas obligatoire parce que je n’étais pas en garde à vue ». L’homme explique qu’il a demandé à contacter son employeur, la Radio Dreyeckland pour qui il devait couvrir le contre-G7, et qu’il a présenté sa carte de presse allemande « mais ils n’y ont pas prêté attention ». Selon lui, les forces de l’ordre de l’ont empêché de contacter la radio libre pour éviter que l’affaire ne soit médiatisée.
Luc indique que ce n’est que lors de son interpellation et sa rétention près de Biarritz qu’il a découvert le nouvel arrêté du ministère de l’intérieur lui interdisant d’être en France. Il nous a fourni la copie qui lui a été donnée à Biarritz, que nous publions ici. Le nouvel arrêté date du 14 août 2019, soit le même jour que l’abrogation de l’arrêté du 18 juillet, qui avait justifié son renvoi le 9 août 2019. (...)
Une mesure normalement prévue pour lutter contre le terrorisme (...)
Puisqu’il se trouvait en France, lorsque l’interdiction administrative du territoire lui a été signifiée, il se pourrait que celle-ci soit de nouveau jugée litigieuse. Interrogé sur une telle possibilité, le ministère de l’intérieur répondait qu’il revenait au tribunal administratif de juger de cela.
Reste à savoir quand le tribunal administratif prendra sa décision. Le pigiste de Radio Dreyeckland paraissait pessimiste sur le délai pour obtenir une décision de justice : « il faudrait un miracle pour que la justice prenne une décision contre l’arrêté avant la fin du G7 », qui se tient du samedi 24 au lundi 26 août. (...)