
« On a fraudé le métro. On est passé par-dessus les barrières, confesse Doumdia. Mais bon, c’est pour manifester, on était obligé ! » Depuis un mois, l’adolescent de 16 ans vit à Paris, place de la Bastille. Un quartier de choix si seulement il avait un toit. « Dormir dehors c’est pas facile, avec la pluie, la chaleur. On aimerait bien être scolarisés, mais on nous répond que c’est pas possible », regrette celui qui a emmené dans son sac à dos le dico Toute la grammaire de Bernard Pivot. « On veut suivre une formation et surtout faire des études. On n’est pas des délinquants ! » Originaire de Côte-d’Ivoire, le jeune garçon compte parmi la centaine de mineurs isolés qui campent en plein Paris, épaulés par Utopia56.
« L’Etat refuse de nous loger »
Avec plusieurs associations dont Droit au logement et Médecins du monde, l’association d’aide aux exilés avait lancé un appel à manifester samedi, pour dénoncer « la politique d’accueil différentialiste » entre les réfugiés ukrainiens et les autres. Une centaine de personnes se sont rassemblées porte de Versailles, dans le XVe arrondissement de Paris, devant le centre d’accueil réservé aux réfugiés ukrainiens ayant fui la guerre. Présent dans le cortège, Paul Alauzy, de Médecins du monde, a visité le lieu il y a quelques semaines : « Le dispositif est parfait. Je n’ai jamais vu ça. On va chercher les exilés ukrainiens à la gare, puis on les emmène porte de Versailles. Là, en moins d’une heure, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) leur trouve un hébergement. L’Armée du salut et la Croix-Rouge se chargent de leur restauration et de leur bilan médical. S’ils veulent rester en France, ils peuvent avoir directement accès à Pôle Emploi. Il y a aussi une crèche, des toilettes… Bien sûr, on applaudit nos confrères des deux mains ! Mais ce qu’on demande, c’est que toutes les nationalités bénéficient de la même qualité d’accueil ! » (...)
Un peu plus de quatre mois plus tard, plus de la moitié des 550 lits de camp mis à disposition des Ukrainiens porte de Versailles sont inoccupés. Le gouvernement a par ailleurs demandé la fermeture des gymnases qui leur étaient destinés, près de Bercy et de la gare de l’Est, alors que pour les associations ces places pourraient servir aux nombreux migrants sans-abri de la région. « L’Etat refuse de nous loger alors que des places sont vides », dénonce Doumdia. Entre ses mains, une pancarte plaide « Humain avant nationalité » en lettres capitales.
« Mythe de l’appel d’air » (...)
« Le gouvernement se cache derrière le mythe de l’appel d’air, mais il n’y a pas d’appel d’air : les gens sont là, de toute façon. Alors soit on les aide, soit ils se clochardisent, perdent confiance en l’institution, tombent dans la délinquance, ou vont jusqu’à se suicider », argue Léa Filoche, adjointe à la mairie de Paris en charge des Solidarités, de la Lutte contre les inégalités et contre l’exclusion, qui dénonce une « maltraitance institutionnelle » et un manque de « volonté politique ». (...)
Les associations présentes dans le cortège dénoncent un « éclatement des campements » – désormais pour la plupart installés dans l’est parisien, avec peu de personnes à chaque fois – qui invisibilise les exilés. « C’est vraiment : “Cachez ces exilés que je ne saurais voir” », assène Paul Alauzy, amer, avant de rappeler qu’une soixantaine de réfugiés afghans attendent depuis des mois d’être pris en charge au parc de la Bergère, à Bobigny, régulièrement soumis aux évacuations policières. La dernière évacuation en date, fin juin, a concerné 360 migrants près de la porte de Pantin, en bordure de périphérique. (...)