
Avec plus de 2 500 communautés et l’ouverture d’une nouvelle église tous les dix jours, les évangéliques peaufinent leur implantation partout en France. Une stratégie maîtrisée, qui ne doit rien au hasard. Reportage dans le Berry.
extrêmement divers, les évangélismes appartiennent à la famille spirituelle du protestantisme, et s’y distinguent notamment des courants luthériens et réformés. Principaux signes particuliers : une valorisation de la conversion personnelle, et l’affirmation assumée de leur foi en dehors du cercle privé. (...)
Les fidèles sont encouragés à imiter ces premiers chrétiens, qui osèrent dire tout haut leur foi. « Je vous propose d’inviter un ami à venir avec vous dimanche prochain ! » (...)
On est bien loin des méga-églises urbaines qui rassemblent des milliers de fidèles dans des complexes énormes, notamment en banlieue parisienne. Ces cultes sous forme de shows spectaculaires ont fait la réputation médiatique des évangéliques, jusqu’à faire craindre une politisation sur le modèle d’un certain évangélisme américain, soutien assumé de Donald Trump. Ces méga-églises éclipsent un mouvement de fond qui laboure patiemment le territoire français, y compris rural. Depuis les années 2010, le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) se fixe même un objectif : « Une église pour 10 000 habitants. » Une stratégie dans les clous de la laïcité et « sans business plan », nous assure-t-on, mais de plus en plus structurée : « une demi-douzaine d’unions d’Églises, parmi les plus importantes, inscrivent le développement dans leurs priorités », explique Daniel Liechti, qui préside au sein du CNEF la commission chapeautant les nouvelles implantations. Le réseau Perspectives recrute ainsi sur son site internet des volontaires pour créer des communautés. « En ruralité, on commence généralement dans une ville moyenne, puis on essaime. Nous envoyons une petite équipe qui s’engage à travailler au milieu des habitants pour témoigner de leur foi. Cela prend du temps, souvent huit à dix ans. » La plupart de ces volontaires partent en couple, menés par des « pasteurs-implanteurs » soutenus financièrement par le réseau dont ils dépendent, après avoir suivi une formation ad hoc (dont une est dirigée par Daniel Liechti, lire l’encadré). Les fidèles sont aussi appelés aux dons pour aider les implantations. (...)
Cette volonté d’expansion est aussi vieille que le christianisme lui-même (...)
« Dans les campagnes démunies en prêtres, les évangéliques récupèrent des déçus du catholicisme. Quand un groupe s’implante, avec un travail pastoral bien pensé, cela crée un pôle de fixation qui entraîne des conversions. » L’historien va plus loin : « Les églises catholiques de certains villages ne proposent plus qu’une messe par mois, voire tous les deux mois. On peut s’attendre à une mutualisation future de ces lieux de culte entre évangéliques ou catholiques. »
Dans son Journal d’un implanteur, publié par l’association éditrice du réseau Église apostolique dont il dépend, le pasteur Jean-Sébastien Fontaine n’hésite pas à employer les mots « étude de contexte » et « public ciblé ». Une réflexion marketing décomplexée, qui tranche avec des passages plus mystiques. (...)
Mission des implanteurs ruraux : s’investir dans la vie locale en témoignant de leur foi — avec le but de construire un réseau et de susciter la curiosité, mais en remisant les gros sabots du prosélytisme explicite. Une pratique répandue consiste à créer à la fois une association cultuelle loi 1905 et une association loi 1901 pour organiser des activités répondant aux besoins de la population détectés dans la fameuse étude de contexte décrite par Jean-Sébastien Fontaine. « Dans le quartier populaire d’Yvetot, on avait remarqué un manque d’infrastructures pour les enfants, qui jouaient sur un carré d’herbe jonché de crottes de chiens. On a donc monté une association d’animation de quartier, et installé des structures gonflables en bas des tours. » À Aumale, le pasteur a plutôt ciblé les personnes âgées. À Lillebonne, son Église offre une maison pour accueillir les femmes violentées. Il assure : « On ne cache pas notre foi, s’il y ades questions on y répond. Mais notre ligne de conduite est de ne jamais utiliser une association culturelle pour faire du prosélytisme. » Autres campagnes, même stratégie (...)