
Au procès de l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray, les agents de la DRPP ont reconnu avoir été en contact direct avec Adel Kermiche trois semaines avant qu’il ne tue le père Hamel. Ils l’avaient caché en 2018 à la police des polices qui les avait interrogés après que Mediapart eut révélé des ratés dans leur surveillance du terroriste.
Ténor du barreau parisien, Me Christian Saint-Palais est connu pour sa voix de stentor et sa pondération. Alors cela résonne et cela frappe quand il se lève pour poser sa première question au témoin ce matin-là, la directrice d’un service de renseignement : « Est-ce que je peux vous demander, madame, si vous partagez cette appréciation : le respect, ça se mérite ? »
Face à lui, Françoise Bilancini ne bronche pas.
Elle ne répond pas non plus.
Le silence se fait envahissant dans l’enceinte de la cour d’assises spécialement composée. Enfin, la patronne de la Direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) de Paris articule une réponse qui n’en est pas une.
« C’est très connoté, votre question, maître…
— Est-ce que vous pouvez admettre que les parties civiles aient eu le sentiment qu’on essayait de mettre en place des choses pour ne pas accéder à la vérité ? », la relance celui qui représente au procès de l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray la famille de Jacques Hamel, ce prêtre assassiné par deux djihadistes. (...)
Cinq agents de son service étaient attendus à la barre des témoins pour raconter ce qu’ils avaient fait (et pas fait) dans les jours qui ont précédé et suivi l’attentat, le 26 juillet 2016.
La famille Hamel les avait fait citer à la suite d’un article de Mediapart qui révélait comment la DRPP avait étouffé son raté dans le suivi du terroriste Adel Kermiche, un des deux futurs tueurs du prêtre. Une note en date du 22 juillet 2016 avait notamment été postdatée au 26 juillet, le jour de l’attentat, afin de camoufler l’absence de sa transmission aux services compétents. Une enquête préliminaire a été menée par le parquet en 2018 pour « faux » et « usage de faux ». Elle a été classée sans suite après une enquête de l’IGPN blanchissant la DRPP.
La position de Françoise Bilancini est inconfortable car elle n’était pas à la DRPP à l’époque des faits (mais elle a eu à gérer les conséquences de l’affaire). (...)
La patronne de la DRPP se révèle beaucoup plus à son aise pour dénoncer « une espèce de déloyauté », « une trahison », visant là celles et ceux qui, dans son service, ont informé Mediapart. Des « traîtres » que d’autres que Françoise Bilancini pourraient qualifier de lanceurs d’alerte ayant permis de révéler des informations d’intérêt général.
Des policiers « dépressifs » qui répondent avec aplomb
Avant de céder sa place à trois agents ou ex-agents de la DRPP, qui témoignent sous pseudonyme et en visioconférence, Françoise Bilancini est questionnée par les avocats des parties civiles à propos de « l’épidémie qui s’est abattue sur [son] service », Me Francis Szpiner évoquant en l’occurrence les certificats médicaux produits la veille du procès par quatre des cinq agents cités par les parties civiles, pour ne pas venir témoigner. (...)
finalement deux des quatre agents déficients acceptent de témoigner, les deux autres étant « dans l’incapacité de se présenter », selon Françoise Bilancini. « Les parties civiles font plus d’efforts que vos fonctionnaires », cingle Me Szpiner.
« Leur état leur permet de lutter contre le terrorisme mais pas de venir devant la cour d’assises ? », fait mine de s’étonner Christian Saint-Palais, qui rappelle que, dans d’autres procédures, lorsque des certificats médicaux sont trop ressemblants, « le parquet y voit souvent un faux »… En l’espèce, pour Me Saint-Palais, « on peut avoir le sentiment que la DRPP cherche à esquiver la vérité ».
Les auditions des agents de la DRPP mercredi après-midi n’ont pas dissipé ce sentiment, désagréable, évoqué par l’avocat (...)
le premier à témoigner, le commissaire 18-11 (son pseudo), manifeste une émotion palpable. (...) Ce policier souffre et on souffre avec lui de cette culpabilité qui le ronge de ne pas être parvenu à empêcher l’attentat. C’est lui qui, de retour de vacances le lundi 25 juillet 2016, n’a pas relu et transmis la note identifiant Adel Kermiche. Même s’il est probable que la transmission moins de 24 heures avant les faits n’aurait pas changé grand-chose au sort funeste qu’allait connaître le père Hamel.
En même temps, ce commissaire, qui n’exerce plus à la DRPP depuis deux ans et dit être « malheureux de devoir [se] justifier alors qu[’il a] laissé des plumes dans ce service », est le seul à ne pas avoir présenté de certificat médical. (...)
Mais ce n’est pas dans une volonté de dissimulation, seulement de « sécurisation », jurent les agents auditionnés. Une procédure que tous les agents de la DRPP reconnaissent pourtant comme étant exceptionnelle, voire du registre du jamais-vu.
« Pourquoi y a-t-il cette décision de sécuriser ? On a peur de quoi ?! », s’énerve Me Antoine Casubolo-Ferro, avocat de parties civiles.
Le commandant 18-12 répond, sans que cela ne dérange grand monde : « Dans le but d’éviter des fuites. » (...)
Ce serait donc pour éviter de ternir la réputation du service qu’une note a été cachée (...)
Un avis que ne partage pas Me Casubolo-Ferro, qui tempête encore : « L’objet de la sécurisation de la note, c’était bien de faire que nous ne sachions jamais que le 22 juillet, vous aviez identifié Adel Kermiche ! Et ça a failli réussir. Il a fallu Mediapart pour que les parties civiles l’apprennent deux ans plus tard ! » (...)
Des conversations avec le terroriste cachées à la juge d’instruction ainsi qu’à la police des polices (...)
La DRPP a donc les retranscriptions d’échanges avec l’un des futurs tueurs du père Hamel trois semaines avant qu’il ne passe à l’acte et cela ne figure ni dans le dossier d’instruction dédié à l’attentat, ni dans l’enquête de l’IGPN qui cherchait à établir si le service de renseignement avait fait des faux… Depuis l’audience de mardi, on a contacté divers magistrats et membres de la communauté du renseignement ayant eu à connaître de cette affaire. Sans pouvoir prétendre bien sûr à l’exhaustivité, tous nous ont fait part de leur incrédulité : ils ignoraient que la DRPP avait été au contact du terroriste. (...)
— Oui, on peut dire qu’il y a eu un dysfonctionnement », finit par reconnaître du bout des lèvres la patronne de la DRPP.
On en restera là.