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le Monde
Eric Zemmour et la haine télévisée
Article mis en ligne le 1er octobre 2019

Editorial du « Monde ». La retransmission sur LCI du discours du polémiste, pourtant déjà condamné pour « incitation à la haine raciale », est une infamie. Une enquête a été ouverte contre lui mardi par le parquet de Paris pour « injures publiques » et « provocation à la haine ».

On le sait depuis 1945 : les crimes contre l’humanité ont commencé par des mots. Ceux qui ont présenté les juifs comme un peuple inassimilable et menaçant dont la seule présence compromettrait une identité nationale immuable. Stigmatisation, exclusion, expulsion, extermination. « Au bout de la chaîne, il y a le camp », a écrit l’auteur italien Primo Levi, à son retour d’Auschwitz.

Ces mots, cette rhétorique qui montre du doigt une partie de la communauté nationale, normalise une distinction fondée sur l’origine, la culture ou la religion, enferme dans une identité fantasmée et transforme « l’autre » en bouc émissaire, constituent le fonds de commerce du polémiste Eric Zemmour. Manipulant et attisant des peurs réelles de tout temps liées à l’immigration, qu’il mêle à ses propres fantasmes postcoloniaux, il présente les musulmans installés en France comme l’avant-garde revancharde des ex-colonisés venus « remplacer » les « Français de souche ». (...)

Un nouveau palier dans l’inacceptable

Son discours, prononcé au cours d’un meeting d’extrême droite organisé samedi 28 septembre par des proches de Marion Maréchal ex-Le Pen, est d’une violence insensée. Il appelle ouvertement à « se battre » contre « une armée d’occupation » dont « l’uniforme » serait « la djellaba », assimile explicitement les musulmans aux nazis. Il franchit un nouveau palier dans l’inacceptable en proclamant la mort de la République et en appelant à la guerre civile afin de repousser « l’invasion » et de « restaurer » la France catholique éternelle.
(...)

M. Zemmour, condamné pour « incitation à la haine raciale » pérore dans plusieurs médias dont Le Figaro et Paris Première. Mais samedi, il a eu droit à trente-deux minutes de haine sans contradicteur en direct sur la chaîne LCI, filiale de TF1 et propriété du groupe Bouygues. C’est une infamie. (...)

En diffusant sans le moindre recul un discours hostile à la démocratie et d’inspiration fasciste, en admettant du bout des lèvres une simple erreur de « format », LCI s’est faite la complice d’une démarche politique anti-républicaine. La course aux propos enflammés et au buzz sur les réseaux sociaux ne peut nourrir ceux qui rêvent de nouvelle croisade. Eric Zemmour doit cesser d’être un « bon client » pour les journalistes et les médias qui les emploient. Il doit être traité pour ce qu’il est : un délinquant et un pyromane. (...)

A son projet de guerre civile, de banalisation du racisme et de destruction des acquis de l’après-1945 – le refus de toute discrimination, l’unicité de l’humanité –, il faut opposer non pas des leçons de morale ou des anathèmes mais une alternative : une France fière d’attirer depuis des siècles des travailleurs étrangers et des persécutés, un pays riche de la diversité de ses cultures, à l’avant-garde de la défense de l’universalité des droits humains.

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Les journalistes du Figaro, employeur d’Eric Zemmour, ont pris leurs distances avec le polémiste et ne veulent pas être associés à lui. (...)

La Société des journalistes (SDJ) du Figaro, l’un des employeurs du polémiste avec RTL et Paris Première, a interpellé sa direction lundi dans un courrier : “la SDJ s’interroge sur la position, fort commode, de rentier de la polémique qui est la sienne : salarié du Figaro, il se lâche à l’extérieur sans retenue, arguant que cela ne regarde pas ses employeurs et collègues de travail”. (...)

“Les journalistes du Figaro, dans leur immense majorité, ne veulent pas être associés à ses provocations. La SDJ demande instamment à la direction de la rédaction de mettre un terme à cette situation ambiguë”, poursuit ce courrier obtenu par l’AFP. Sollicitée par l’AFP, la direction du Figaro n’a pas donné suite. (...)