« Je ne suis pas une personne qui va se dire « je vais me suicider », mais c’est dur, franchement c’est dur », avoue la femme au téléphone : depuis quelques semaines, les appels s’intensifient à la plateforme de prévention SOS Kriz, en Martinique, à cause de l’angoisse du virus et du confinement.
« Souvent, les personnes se disent envahies par toutes les informations […], elles disent qu’elles ont peur de mourir, qu’elles ont peur du vaccin, qu’elles ne savent pas quoi faire », explique Fabienne Sainte-Rose, membre fondatrice de l’association SOS Kriz, née en 2016, et orientée vers le soutien des personnes en souffrance.
Dans les locaux de l’association, située à Bellefontaine, dans l’Est, la femme en ligne s’épanche longuement, dans un mélange de français et de créole. Elle raconte sa mère morte il y a trois semaines, avec qui elle a passé « toute sa vie », ses autres proches hospitalisés ou décédés du Covid, le confinement dur à vivre sans télé, car elle n’a pas pu payer la facture de l’opérateur… « Je suis toute seule quoi, toute seule, toute seule, toute seule… », avoue-t-elle, sous l’écoute bienveillante d’une bénévole.
« Notre intervention, c’est pour aider à tenir, à passer le cap, et à attendre que la vague redescende », explique Fabienne Sainte-Rose, elle-même touchée par le décès de sa sœur début août. « On a parfois l’impression de vivre une fin du monde », dit-elle, « il faut aider à ne pas accepter ça, permettre aux gens de garder l’espoir ». (...)
« En moyenne, on a 350 appels par an. Là on est déjà à plus de 300 appels début août », dit-elle, avec des « appels ciblés » sur « les conséquences et la dangerosité de la quatrième vague ».
Succession de crises
« Nous sommes dans une situation très particulière, avec une exacerbation du sentiment de crise et d’épuisement », complète le professeur Louis Jehel, psychiatre et président de l’association, évoquant « un cumul de succession de crises aux Antilles », comme les cyclones, dont Irma en septembre 2017, les épidémies de dengue, de chikungunya, de Zika « extrêmement oppressants », les menaces de séismes. « La population a l’impression qu’elle n’a pas le temps de souffler ».
Et avec la quatrième vague de Covid, « que certains nomment tsunami », « beaucoup de personnes n’ont pas eu le temps de repos qu’elles espéraient, n’ont pas eu les vacances qu’elles avaient imaginées », puisqu’un confinement leur a été imposé début août.
Le professeur note aussi « une inquiétude croissante et une perte d’espoir », en lien avec « une crise économique dont beaucoup de signaux nous disent qu’elle pourrait durer longtemps ». Certains appelants « ont des idées suicidaires », d’autres ont « peur », une peur « qui peut se manifester aussi par du déni, l’impression d’une fatalité qui s’impose », ajoute-t-il.
Face à l’afflux d’appels, l’association a lancé un appel à volontaires début août pour renforcer l’équipe de 45 personnes. Près de 90 personnes ont répondu, comme Dominique Dumanoir, 43 ans. « Il y a ce stress et toute cette polémique autour du vaccin, et avec la rentrée scolaire qui approche, il y a beaucoup d’appels à l’aide », constate la jeune maman, qui « aime bien aider ».
Catherine Hémart, une bénévole de 59 ans, membre de l’association depuis sa création, dit « craindre le pire pour les jours et les semaines à venir ». (...)