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En Guyane, évacuations et démolitions de quartiers précaires se succèdent aussi
#Guyane #precarite #Darmanin #logement
Article mis en ligne le 4 juin 2023

Depuis 2019, évacuations et démolitions de quartiers de fortune se succèdent à Cayenne et alentour, sans planification générale. Selon les estimations de notre partenaire Guyaweb, cette politique a touché au moins 3 000 personnes, dont un nombre conséquent de mineur·es.

Au moins 3 000 personnes, selon nos premières estimations, ont subi depuis 2019 la destruction du toit qui les abritait à Cayenne et dans les communes de Matoury et Rémire-Montjoly, par le biais d’une quinzaine d’opérations d’évacuations et d’abattage de quartiers de fortune majoritairement engagées par la préfecture et les maires. Questionné par Guyaweb, le DAL (Droit au logement) Guyane estime à « 5 000 » le nombre de personnes déplacées.

Une quinzième démolition a été menée jeudi 25 mai dans la « cité Mère Teresa », à Cayenne, visant 60 à 80 habitant·es selon les sources. Comme à Mayotte, cette situation découle d’une volonté d’affichage de l’État de faire barrage à l’immigration.

Pour les associations, les effets sont globalement désastreux, puisque l’effacement de ces quartiers de relégation, non accompagné de solutions de relogement pour toutes et tous, a surtout contribué à « sur-précariser » les plus fragiles, qui se réfugient dans d’autres bidonvilles ou en font émerger de nouveaux.

Car, comme le soulignent tous les diagnostics territoriaux, le manque de logements et l’impossibilité pour les familles d’accéder au parc social, parce que celui-ci est trop cher ou parce que son accès est conditionné à la nationalité française, « forcent les situations alternatives ou irrégulières ». (...)

Tout s’est intensifié en 2019, deux ans après la formation des 500 Frères et des Grands Frères, mouvements populaires d’intimidation et d’expulsions des « illégaux » (...)

À peine nommé à la tête de la préfecture de Guyane, Marc Del Grande annonce à la mi-2019 une accélération des reconduites à la frontière et la destruction d’un « squat » par mois, afin d’« envoyer un signal à celles et ceux qui cherchent à s’installer en Guyane ». Le haut fonctionnaire enclenche les annonces faites à Cayenne deux ans plus tôt par le chef de l’État, Emmanuel Macron, de « rev[oir] rapidement et massivement les règles d’expulsion et de destruction » des quartiers précaires informels.

Cette politique a été facilitée par la loi « Elan », adoptée en 2018, qui a institué pour Mayotte et la Guyane – les deux territoires français régulièrement pointés par les associations comme des « laboratoires d’expérimentation pour des restrictions des droits des étrangers » – la possibilité pour les préfectures de démolir sans passer par un·e juge.

La loi Elan « accord[e] aux préfectures une autorité quasi toute-puissante dans l’exécution des opérations » où l’objectif initial de lutte contre l’habitat informel est « détourn[é] » au profit « de la lutte contre l’immigration », regrettait en 2022 l’Observatoire des expulsions dans son rapport annuel.
Des évacuations sans cadre

De septembre 2019 à janvier 2020, quatre opérations particulièrement brutales furent menées coup sur coup par les autorités à Cayenne et dans les communes voisines de Matoury et Rémire-Montjoly pour éradiquer des lieux de vie investis en majorité il y a plus de vingt ans et qui hébergeaient parfois 700 personnes, dont un nombre conséquent d’enfants.

Pourtant, tous les signaux sont alors au rouge : « défaut global de gouvernance », « importants besoins en hébergement d’urgence et d’insertion », « politique d’accession sociale et très sociale en panne », constatait ainsi le plan territorial d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées, rédigé dès 2019 par les services de l’État et qui fut adopté par l’ensemble des autorités régionales avec deux ans de retard, en 2021.

Cette politique à l’aveugle nourrit elle-même la crise du logement, puisque « la résorption et l’évacuation des zones d’habitat illicite » entraînent des « besoins accrus [en logements – ndlr] », souligne alors le fameux plan embryonnaire. (...)

Des habitant·es de tout profil payent très majoritairement les frais des destructions : Français·es, personnes en situation régulière, sans papiers, mères célibataires, familles nombreuses, collégien·nes, seniors, malades chroniques, demandeurs et demandeuses d’asile, réfugié·es politiques…

« Quand j’ai voulu retourner dans ma chambre pour récupérer des affaires, la police ne m’a pas laissée passer alors le passeport de ma fille a été brûlé et mes vêtements aussi », racontait Yvesse, rencontrée en février 2020 dans un immeuble désaffecté du centre-ville de Cayenne réinvesti par plus de 200 « réfugié·es », dont des mères et leurs nourrissons, après la démolition d’envergure du bidonville La Matina.

« Ils cassent nos affaires, les mettent dans des conteneurs et nous disent qu’ils nous les rendront quand on aura trouvé un logement », s’inquiétait Latchmyn depuis le Mont Baduel, à Cayenne. (...)

« Il y a un besoin presque frénétique de casser pour casser mais aucune réflexion de fond », regrette Milot Oxygène, membre du Réseau éducation sans frontières (RESF), qui n’est pas en mesure de chiffrer le taux de déscolarisation éventuellement induit par des années de casse mais narre « les complications pour les familles lorsqu’elles changent de commune pour rescolariser les enfants ». (...)

c’est le président de la Communauté d’agglomération du centre littoral (CACL), Serge Smock, qui a finalement appelé à ne « pas démolir pour démolir ». (...)

Selon un diagnostic de la CACL non encore rendu public auquel nous avons eu accès, plus de « 30 000 personnes » vivaient dans un logement « potentiellement indigne » en 2022 sur ce territoire. À l’échelle régionale, « le logement illégal croît depuis 20 ans plus rapidement que le logement légal ». (...)