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La quadrature du net
En GAV, t’es fiché·e ! ÉPISODE 1 : le smartphone
#gardeavue #smartphone #cryptage
Article mis en ligne le 1er mai 2023
dernière modification le 30 avril 2023

Le mouvement contre la réforme des retraites, qui n’en finit pas de ne pas finir, s’est heurté au maintien de l’ordre « à la française ». Violences policières et placements massifs de personnes en garde à vue (GAV) ont suscité les inquiétudes du Conseil de l’ordre du barreau de Paris, de la Défenseure des Droits, et ont entrainé le dépôt d’une centaine de plaintes par un collectif d’avocat·es parisien·nes. Sans parler des inquiétudes internationales quant au respect du droit de manifester en France.

Un nombre croissant de personnes font l’expérience de la garde à vue et de son corollaire : la collecte massive d’un certain nombre de données personnelles. Code de téléphone, ADN, photographie et empreintes : un passage en GAV laisse des traces difficiles à effacer. Alors que le ministère de l’intérieur compte investir dans des capteurs nomades biométriques qui permettront, en vue des JO 2024, le relevé de photos et d’empreintes « en bord de route », nous revenons dans une série d’articles sur le fichage galopant en France, son cadre juridique et les pratiques policières en la matière, qui se développent parfois en toute illégalité.

Cet article, le premier de la série, revient sur les données collectées en GAV par la police sur nos téléphones portables. (...)

suivant un schéma désormais tristement connu, le champ des procédures d’exception justifiées par la lutte contre le terrorisme s’élargit et finit par concerner une grande partie de la population. (...)

L’état actuel de la loi aboutit donc à ce que presque n’importe qui, retenu en garde à vue, puisse se voir demander le code de son téléphone dès lors qu’existe le soupçon d’un lien potentiel entre cet appareil et une éventuelle commission d’infraction. Et si la personne refuse, elle commet une nouvelle infraction qui permet de la poursuivre indépendamment des premiers faits délictueux qui lui étaient reprochés.
Une jurisprudence défavorable

Ces différents textes ont donné lieu à plusieurs interprétations par les juges. Mais la jurisprudence n’a pas davantage protégé les droits des personnes et certaines décisions ont, au contraire, donné un nouveau tour de vis sécuritaire à la possibilité d’accéder au contenu des téléphones.

En 2018, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et La Quadrature était intervenue au soutien dans cette affaire. Nous avions défendu la nécessaire censure de cette obligation de livrer ses clefs de chiffrement, au motif notamment que cette mesure est attentatoire au droit fondamental de chacun·e à ne pas s’auto-incriminer et au droit à la vie privée.

En vain, puisque le Conseil constitutionnel a considéré que le droit au silence et le droit ne pas s’auto-incriminer n’entraient pas en contradiction avec la pénalisation du refus de communiquer son code. (...)

Plusieurs cas de figure n’ont à notre connaissance pas encore été tranchés : qu’en est-il d’un oubli de code dans les conditions stressantes de la GAV ou d’une défaillance du système d’exploitation ?
Un espoir au niveau européen ?

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est actuellement saisie d’une affaire concernant l’accès au téléphone d’une personne placée en garde à vue4. Cette affaire concerne une tentative d’exploitation d’un téléphone sans l’accord de son détenteur. (...)

Malheureusement, l’avocat général, magistrat chargé de proposer à la Cour une décision, a estimé qu’un tel accès au téléphone devrait être relativement large et ne devrait pas être restreint aux faits de criminalité grave. La CJUE n’est pas obligée de suivre les conclusions de son avocat général, mais si elle le faisait elle mettrait gravement à mal les droits fondamentaux, en autorisant l’exploitation des téléphones peu importe la gravité des faits reprochés . Pire, l’avocat général montre une certaine naïveté lorsqu’il se contente de renvoyer à un contrôle au cas par cas de la nécessité d’exploiter un téléphone : on sait très bien que ces mécanismes de contrôles ne fonctionnent pas, par exemple en matière de vidéosurveillance où les préfets sont censés en théorie contrôler les autorisations alors qu’en pratique leur déploiement est massif.

Cette affaire est pourtant l’occasion pour la CJUE, en s’inspirant de sa jurisprudence sur les données de connexion, de poser un cadre exigeant, en limitant au strict nécessaire l’accès à des données qui, étant donné le rôle d’un téléphone aujourd’hui qui devient presque un avatar numérique, révèlent nécessairement l’intimité des personnes. (...)