
Le 26 janvier 2017 s’est tenu à l’Assemblée nationale un colloque pluridisciplinaire sur le thème du féminicide. Spécialistes de l’histoire, juristes et psychanalystes ont débattu des enjeux de cette notion pluridisciplinaire et de l’intérêt de la pénaliser en France et en Europe.
(...) Tuer une femme ne constitue pas un féminicide. Tuer une personne parce qu’il s’agit d’une femme l’est. (...)
Le droit pénal français ne connaît que le crime d’homicide. Pourtant, au même titre que le parricide, qui figurait dans l’ancien Code pénal de 1810, fratricide, infanticide, sororicide ou plus récemment l’écocide, le terme de féminicide existe bien dans la langue française. Pour Le Petit Robert, il se définit comme « l’homicide d’une femme, d’une jeune fille ou d’une enfant en raison de son sexe ».
Cette notion s’ancre également en droit international, qu’il s’agisse de recommandations diverses de l’ONU, de l’Organisation mondiale de la santé ou du Parlement européen. Il est même question, au sein de l’Union européenne, de créer un observatoire du féminicide.
Plusieurs pays d’Amérique centrale et du Sud ont d’ailleurs adopté une législation spécifique au féminicide, assortie d’une peine plus lourde : Costa Rica en 2007, Chili en 2010, Mexique en 2012, Brésil en 2015. (...)
Plus proche de nous, en Belgique, une résolution le condamnant a été votée par le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale le 10 juin 2016.
La France n’échappe pas à ce mouvement. En 2016, la Commission nationale des droits de l’homme (CNCDH) a publié un avis sur la question et un rapport parlementaire du 17 février 2016 évoque ce terme à propos des meurtres commis en raison du sexe.
L’utilisation croissante de ce mot commande tout à la fois précision et justification, afin d’éviter de le dévoyer voire, pire, de le galvauder. Son emploi ne peut s’appliquer à toute forme de violence à l’égard du genre féminin. Il implique, juridiquement tout au moins, la mort d’une femme. Viol, harcèlement, insultes ou coups n’entraînant pas la mort ne sauraient légitimement être qualifiés de féminicide.
Pas de pénalisation en France
Plusieurs catégories se distinguent, notamment le féminicide intime, c’est-à-dire commis par un partenaire ou ancien compagnon de la victime ; le féminicide familial, illustré par la notion de crime d’honneur ; le féminicide non intime, commis par une personne n’étant pas en relation proche ni familiale avec la victime. Il peut encore être sociétal. (...)
En droit français, le terme de féminicide existe. Il a été intégré au Vocabulaire du droit et des sciences humaines, mais il ne figure pas dans le Code pénal. N’est-il pas temps de poursuivre la construction et, à dessein égalitaire, de qualifier cet homicide genré d’infraction pénale ?
Anthropologie, psychanalyse et médecine légale ont compris les enjeux d’une telle qualification et s’attellent aujourd’hui à étudier les spécificités de ce type de meutres. Le docteur Juan Manuel Cartagena et son équipe ont ainsi rédigé un guide d’investigations. Les médecins légistes des pays qui le reconnaissent sont désormais formés à interpréter les blessures afin d’identifier les caractéristiques de ces actes violents. Il existe aussi des unités spéciales au sein de la police spécifiquement formées au crime de féminicide. (...)
Juan Manuel Cartagena relève dans sa pratique une intensification de la cruauté, découlant entre autres de la traite pour exploitation et son lot de cadavres féminins. Tous présentent des blessures similaires, telles des lésions multiples, des lésions post mortem, des messages d’insultes, des signature sur le corps par le groupe agresseur, des amputations partielles, ablations des seins, mutilations des parties génitales, démembrements, des défigurations pour effacer l’identité, ou la sexualisation de la scène même en l’absence d’agression sexuelle préalable.
Le droit ne pourrait-il pas participer à cette construction nécessairement pluridisciplinaire et proposer un traitement juridique en instaurant le crime type de féminicide ? Plus que toute autre branche du droit, le droit pénal, c’est-à-dire répressif, doit se doter de textes clairs. (...)
le féminicide recouvre une violence spécifique, son incrimination ne peut résulter d’une qualification globale et indifférenciée.
Non, il ne s’agit pas de faire des femmes une catégorie de victimes ou de les considérer comme vulnérables. Pas davantage il n’est question de leur accorder des droits supplémentaires à ceux des hommes. L’idée est simplement que le droit agisse face au constat selon lequel, quantitativement, il est rare qu’un homme soit tué au motif qu’il est un homme, au sens sexué du terme et dans les conditions de cruauté qu’impliquent les crimes de féminicide.
Qualifier ces actes criminels d’homicide participe d’un traitement uniforme de la violence. Or, la violence n’est pas qu’une, elle est multiple ; chacune de ses sources, une fois identifiée, doit bénéficier d’un remède et d’une peine appropriés en vue d’une lutte efficace. (...)
Persister à ne pas nommer revient à refuser de constater pour finalement encourager l’impunité. Souvenons-nous des mots de Simone de Beauvoir, « nommer c’est dévoiler. Et dévoiler, c’est déjà agir ». (...)
En France, d’après le groupe Féminicide par compagnon ou ex, depuis janvier 2016, 452 femmes sont mortes sous les coups d’un frère, d’un compagnon, d’un mari, d’un ex ou d’un fils. En 2016 elles étaient123, 135 en 2017, 120 en 2018 et 74 en 2019.