La victoire aux élections de 2015 de l’opposition démocratique en Birmanie a généré un grand espoir. Pourtant, explique l’autrice de cette tribune, la « respectabilité » retrouvée de ce pays d’Asie et la libéralisation de son économie ont multiplié les projets menaçant les populations autochtones et l’environnement.
Dans l’État shan, dans le nord de la Birmanie, se trouve la seule centrale thermique alimentée au charbon du pays : Tigyit. Elle se situe à côté de la plus grande mine de charbon à ciel ouvert de Birmanie. Pour l’installer, les militaires ont confisqué des terres et délogé deux villages. Son exploitation, par une entreprise chinoise et deux entreprises birmanes, a débuté en 2005. Elle est à l’arrêt depuis 2015, à la suite d’une forte mobilisation des habitants. Bilan ? Montagnes détruites, explosions dues aux activités extractives qui ont démoli des pagodes, forte pollution de l’eau et de l’air entraînant des problèmes sanitaires (des éruptions cutanées, des déficiences respiratoires…) et la contamination de la production agricole, dont vit 70 % de la population en Birmanie.
Pourtant, l’entreprise chinoise Wuxi Huagaung a signé un accord d’investissement pour cette centrale. Il y a quelques mois, le gouvernement a autorisé des essais de fonctionnement afin de la remettre en route. En guise de justification, il a affirmé chercher à répondre aux besoins en électricité — 70 % de la population birmane n’a pas le courant. En réalité, la centrale devrait alimenter une usine de fer forgé : le projet Pinpet, une coentreprise russe, italienne et birmane située à soixante kilomètres de Tigyit, en pleine zone en conflit. Alors, de nouveau, les réseaux locaux s’activent et lancent des campagnes pour l’arrêt définitif de la centrale. Syndicats paysans, organisations de défense des droits des femmes et groupes de jeunes se mobilisent pour défendre leurs modes de vie et leur environnement. Ils dénoncent une étude d’impact environnemental opaque et sans réelle consultation des populations. (...)
La centrale de Tigyit n’est pas un cas isolé. Le gouvernement de Thein Sein, héritier de la junte militaire et président de 2011 à 2015, a signé au moins onze contrats de centrales thermiques à charbon avec des entreprises régionales et internationales. Ces projets n’ont pas encore vu le jour en raison d’une forte opposition de la population, mais ils témoignent d’une période charnière pour la Birmanie. (...)
Les élections libres de 2015 et l’écrasante victoire de la Ligue nationale pour la démocratie, le parti historique de l’opposition, ont permis une transition démocratique. Même si les militaires gardent la mainmise sur les affaires politiques et économiques du pays, cette ouverture politique et économique, ainsi que la levée des sanctions économiques européennes et états-uniennes, ont suscité l’intérêt des investisseurs étrangers. Le pays est devenu « fréquentable », il est désormais perçu comme un « eldorado » : il faut investir !
En parallèle, le gouvernement, pour qui la protection de l’environnement est loin d’être un problème prioritaire, mène des réformes libérales qui offrent de nombreux avantages aux entreprises. Les accords commerciaux, par exemple l’accord de protection des investissements en cours de négociation entre l’Union européenne et la Birmanie, se multiplient et privent le gouvernement birman de possibilités de régulation pour la protection des peuples et de l’environnement. (...)
Par ailleurs, les ressources naturelles sont concentrées le long des frontières, dans les zones ethniques déchirées par des conflits armés depuis des décennies, notamment pour le contrôle de ces richesses. Les groupes ethniques armés revendiquent le contrôle ainsi qu’une répartition équitable de leurs revenus à travers l’instauration d’un État fédéral. Sur ces territoires, les injustices économiques sont monnaie courante et les bénéfices reviennent souvent à un noyau proche des militaires ainsi qu’à une élite chez les minorités. Les investissements ne peuvent pas se prétendre neutre dans ces zones : ils alimentent les conflits.
Mais les luttes citoyennes se renforcent et portent leurs fruits. (...)