
Alors que l’éolien, comme les autres énergies renouvelables, commence à prendre une place notable dans la production électrique, des voix s’élèvent dans les zones rurales du pays pour contester l’implantation de ces nouvelles industries. En Aveyron, un projet de transformateur électrique cristallise les débats.
Jour tranquille sur le marché de Saint Affrique. En cette fin d’été dans le sud de l’Aveyron, il n’y a pas foule pour acheter les légumes des producteurs locaux. Certains affichent néanmoins un sourire complice à l’évocation de la Fête du Vent qui se déroule du 28 au 30 août à Saint-Victor-et-Melvieu. Une affiche sur les étals précise : "Ni ici ni ailleurs, non au transformateur de Saint-Victor, qui ajoute au nucléaire des énergies dites ’vertes’ pour étendre toujours plus le marché de l’électricité au-delà des frontières et des besoins." (...)
Si l’Aveyron est connu pour ses paysages, son viaduc de Millau et sa gastronomie, le département n’en est pas pour autant épargné par les projets d’aménagement à grande échelle, « inutiles et imposés » selon d’adage. En cause ici : un « méga-transformateur » électrique, porté par RTE (Réseau de Transport d’électricité), filiale à 100 % du groupe EDF qui gère le réseau électrique haute tension dans le pays. (...)
A Saint-Victor, depuis 2010, une association conteste le bien fondé de la construction du transformateur. D’abord tenu secret, c’est une conseillère municipale, Carole Joly, qui révèle en mars 2010 le projet : "Un transformateur électrique sur dix hectares, en vue de la collecte et de la centralisation de toutes les productions d’électricité de l’Aveyron, du nord de l’Hérault et de l’est du Tarn." L’ancien maire du village, à qui l’on a conseillé de "ne pas ébruiter l’histoire" car "généralement, ça fait des histoires", a donné son aval au projet, sans même consulter le conseil municipal, "parce que cela allait faire de l’argent pour la commune", selon Carole Joly.
Elle a alors lancé avec d’autres habitants une association d’opposants, Plateau Survolté. Pour l’association, au-delà des nuisances pour la population (ondes électromagnétiques, dégradation du paysage, proximité des habitations), la question centrale réside dans le contexte global de la production énergétique et de la mise en concurrence internationale de la production d’électricité via un grand marché européen. Sur des revendications ouvertement hostiles au projet, une liste d’opposition remporte les élections municipales en 2014. Après trois années de bataille, les promoteurs consentent à réduire le projet de onze à sept hectares, "pour minimiser l’impact paysager", selon M. Perrin, mais sans remettre en cause son fondement même. (...)
Dans le village, il a fallu un peu de temps pour apprivoiser le mouvement : "Au début, les gens ont eu un peu peur que ça fasse comme dans le Tarn. Et puis maintenant, les occupants sont mieux acceptés", dit Carole Joly. Désormais, c’est l’Amassada qui prend l’initiative de la lutte contre le transformateur, en complémentarité avec Plateau Survolté. Comme ailleurs, les stratégies diffèrent, mais le but est commun. Après une manifestation de 400 personnes en mars dernier dans les rues de Saint-Affrique, les militants ont décidé d’organiser un grand rendez vous festif et militant "pour montrer qu’il y a mieux à faire avec ce souffle que d’alimenter des moulins à frics, qu’il existe des objets à taille humaine, qui embellissent le ciel au lieu de pourrir nos nuits", m’explique-t-on.
"Une politique colonialiste"
C’est ainsi que se prépare la Fête du vent, occasion de rassembler les militants de diverses régions du pays opposés à "l’éolien industriel" ainsi qu’aux usages productivistes de l’énergie. (...)
Pour Pauline, habitante de la commune de Saint-Affrique, "ça ne sert à rien de faire une usine à vent si tu ne repenses pas tout le système qui va avec. Les éoliennes comme elles sont faites, ça pète tous les liens sociaux, ça divise les gens et ça fait primer l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif". Car le premier bénéficiaire d’une éolienne est le propriétaire du terrain sur lequel celle-ci est construite. Et quand c’est un maire ou un élu qui est concerné, le conflit d’intérêt n’est pas loin.
Comme un pied de nez aux projets "industriels", le collectif a érigé une petite éolienne artisanale qui permet d’alimenter en électricité la buvette ainsi qu’un studio radio délocalisé sur place par une radio associative du secteur. "On ne se trompe pas : ce n’est pas l’éolien qui est le problème, c’est l’ensemble de la politique de développement et de croissance de l’énergie qui est en cause", dit Alexandre. (...)
D’ores et déjà, alors que l’enquête est prévue début 2016, les militants dénoncent une "simulation de concertation" et préparent une manifestation d’ampleur dans la semaine qui précèdera l’ouverture de l’enquête.
En attendant, l’Amassada est aujourd’hui déclarée construction illégale. Un permis de construire a été déposé a posteriori, mais a été refusé. Une première bataille juridique est entamée pour demander un recours gracieux devant le tribunal administratif. Mais rien qui n’arrêtera les militants aveyronnais, qui veulent empêcher leur territoire de devenir "une zone industrielle de l’électricité" et, jouant de l’occitan clament : "Amassada, pas res nos arresta".