
Depuis l’hiver 2017, le couvent franciscain de Thal-Marmoutier, en Alsace, ouvre une partie de ses bâtiments à des réfugiés originaires d’Afrique subsaharienne, qui arrivent par groupe de 50, trois fois par an. Encadrés et accompagnés par une association et par des agents du service public, ces réfugiés se préparent à leur intégration à la société française, sans subir les lourdeurs administratives dont souffrent souvent les nouveaux arrivants.
Les rires d’Asma, d’Abdallah, de Babikir et de Marwa résonnent en continu dans la salle de classe. Ce matin-là, les jeunes élèves étrangers, d’origine érythréenne et soudanaise, sont en plein apprentissage du vocabulaire. "On ne dit pas ‘cay-hié’ mais ‘cahier’", répète Claudine, la maîtresse, sans perdre patience. "Tu l’as appris ces derniers jours, Babikir. Tu le sais bien". À chaque erreur, les rires fusent presqu’instantanément. (...)
En tout, ils sont 55 personnes, hommes, femmes et enfants, réfugiés statutaires, à relever ce défi linguistique. Et c’est bien de défi dont il s’agit quand on sait que les réfugiés de Thal-Marmoutier ne disposent que de quatre mois pour apprendre à tenir une conversation – des plus rudimentaires.
Quatre mois, c’est la durée de leur séjour ici. Dans le couvent de Thal-Marmoutier - dont une partie des locaux a été reconvertie en "sas d’accueil", selon l’expression des responsables de la structure -, les salariés et bénévoles de l’association France Horizon ont quatre mois pour armer les réfugiés à affronter leur nouvelle vie en France. "Un défi quand on sait que certains n’étaient jamais sortis de leur pays voire de leur village", explique Jean-Robert Wilt, le coordinateur de France Horizon sur le site.
Au terme de cette échéance, chaque réfugié – ou chaque famille - sera relogé en appartement de façon pérenne, quelque part en France (...)
La promesse du président
Le SAS d’accueil alsacien est né à l’hiver 2017 à la suite de la déclaration du président Emmanuel Macron, d’ouvrir les portes de la France à 10 000 réfugiés d’ici fin 2019, dont 3 000 Africains subsahariens, évacués de Libye notamment.
"Nous avons été choisis par le gouvernement pour honorer cette promesse", explique Hubert Valade, le président de France Horizon qui rappelle que son association est spécialisée dans l’accueil des réfugiés depuis les années 1950. "Les personnes qui arrivent ici sont toutes inscrites au ‘programme de réinstallation du HCR pour les réfugiés africains’".
Les réfugiés de Thal-Marmoutier ont tous obtenu une protection internationale par l’Ofpra, qui dispose d’équipes au Niger et au Tchad. Ils ont été envoyés d’Afrique directement en Alsace, sans passer par la procédure classique du dépôt de dossier puis de l’entretien avec un agent de protection à Paris. Depuis le mois de décembre 2017, déjà 263 personnes sont passées par le couvent alsacien, à travers cinq groupes, appelés ici "rotations".
Une "chance", souligne Thomas Zimmerman, le directeur France Horizon. "Toutes les personnes qui arrivent ici bénéficient déjà du statut de réfugié, elles ne connaissent pas les lourdeurs administratives que subissent beaucoup de demandeurs d’asile, elles ne sont pas passées par les réseaux des passeurs, et n’ont pas risqué leur vie en Méditerranée", et elles ne connaissent pas la vie des campements informels de Paris ou de Calais. "Cette structure, c’est un peu la Rolls des centres d’accueil". (...)
Force est de reconnaître que l’armée de salariés et de bénévoles aux petits soins pour ces réfugiés facilitent le quotidien des 55 colocataires de Thal Marmoutier. Des agents de l’Ofii, du Pôle Emploi, de l’Éducation nationale viennent régulièrement à la rencontre des nouveaux arrivants pour faciliter leurs démarches et leur expliquer comment fonctionne le système de santé ou le marché de l’emploi. (...)
France Horizon a engagé une psychologue qui se déplace une fois par semaine à Thal Marmoutier pour assurer une permanence "et repérer les cas les plus fragiles". Des cuisiniers professionnels préparent chaque jour les repas. Une nurserie est mise à disposition de mères de famille qui peuvent y déposer leurs bébés le temps d’aller en classe. Des traducteurs en tigrina, somali, arabe, déambulent dans les couloirs pour aider tous ceux qui le souhaitent.
Les réfugiés de Thal-Marmoutier mesurent-ils cette "chance" ? "Non, pas toujours, mais comment le pourrait-il ?", souffle Jean-Robert Wilt. "Ils viennent directement du Niger et du Tchad. Ils ne connaissent rien de la situation des migrants en Europe". (...)
Dans la maison au bout de la rue, à quelques mètres seulement du couvent, Pierre, un retraité d’une soixantaine d’année regrette de ne pas connaître davantage ce nouveau groupe. "Avec les 50 réfugiés de la première rotation, on avait beaucoup plus d’affinités. On se parlait, ils voulaient m’aider à jardiner", se rappelle-t-il. "Ce groupe-là ne vient pas à notre rencontre, c’est dommage".
Pierre n’a pas toujours tendu la main à ses nouveaux voisins. Il reconnaît sans langue de bois avoir été "très hostile" à l’ouverture de la structure d’accueil à l’hiver 2017. "On s’est imaginés qu’on allait avoir un Sangatte ou un Calais à nos portes. On était furieux. J’étais prêt à installer des grillages autour de mon jardin", se rappelle le retraité désormais surnommé "Papi carambar" par les enfants réfugiés à qui ils distribuent des friandises. (...)
Personne ne semble prêter attention aux reliquats catholiques encore présents ici et là. La salle de télé est toujours nommée "Béthléem", et la salle d’éducation civique "Nazareth". Tout le monde semble également se moquer qu’un immense Christ en Croix surplombe les tables de cours, dans la salle de classe du rez-de-chaussée qui servait autrefois de chapelle.
Le décor est d’autant plus cocasse que la quasi-totalité des 55 réfugiés est de confession musulmane. "Étudier dans une chapelle ? Ça ne me dérange pas. Je suis là pour apprendre le français, pas une nouvelle religion", sourit Abdelkarim, un jeune Somalien de 24 ans dont une partie de la famille a été massacrée par les islamistes Shebab. "C’est vrai qu’enseigner le principe de laïcité à des musulmans dans une chapelle, c’est drôle", renchérit une bénévole. (...)
de nombreux réfugiés montrent des signes d’angoisse à l’idée de quitter le couvent. "Pourquoi je peux pas choisir ma ville ?", demande l’un. "Je ne connaîtrai personne là-bas ?", demande un autre. "À chaque départ, c’est pareil", précise Saïd, le professeur. "Certains ne maîtrisent pas encore le français, alors ils appréhendent de se retrouver dans un appartement, isolés, loin de leurs amis, loin des associations".
Pour ne pas les lâcher en pleine nature, France Horizon continue donc le suivi des réfugiés pendant encore hii mois, via une équipe de travailleurs sociaux. Un suivi indispensable pour ce public fragile. (...)
Nicolas, ancien réfugié de RD Congo, aujourd’hui salarié de France Horizon, acquiesce. "Il faut qu’ils apprennent à atterrir. C’est comme s’ils venaient d’une autre planète..."
Et si certains ratent le premier atterrissage, ils peuvent en réussir un second, rappelle François Zimmerman, le directeur de l’association, en insistant sur l’histoire de trois frères centrafricains revenus s’installer dans le village alsacien. Les trois jeunes hommes ont été relogés à Nantes, en Loire-Atlantique, à 800 km de là. Mais l’expérience de la grande ville a été un échec. (...)