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Élevage industriel et pandémies : bienvenue dans le « pathocène »
Article mis en ligne le 3 juillet 2021

Le Sénat a rejeté une proposition de loi visant à améliorer le bien-être animal dans l’agriculture : les bêtes s’entassent et s’entasseront toujours. Balayée, l’éthique. Oubliées, les pandémies causées par les élevages industriels. La recherche de profits est la plus forte, argue l’auteur de cette tribune

Les arguments éhontés défilent : la France serait le pays qui présente la plus grande proportion d’élevages en plein air (1 % pour la filière cunicole...), l’accès au dehors n’est donc pas nécessaire ; l’élevage en plein air généralisé empiéterait sur les surfaces vertes déjà aux prises avec l’artificialisation des sols… Voilà comment une mesure de bien-être est contrée par un argument pseudo-écologique. Cela va crescendo : le plein air serait néfaste à certaines espèces (comme le lapin, préférant la nuit et le terrier, et par conséquent... les cages) ; ces mesures produisant une distorsion de concurrence, on assisterait à l’importation de viandes d’animaux élevés selon des pratiques condamnées sur le territoire... Bref, les agriculteurs français seraient les premières victimes de cette loi.

Le rapport estime aussi que seul le cadre européen est valable pour améliorer le bien-être animal. Insolence ou naïveté ? Car personne n’ignore que l’Europe ne garantit ni un marché uniforme, ni des normes de production identiques. (...)

il suffit aux partisans du hors-sol d’agiter le spectre épidémique pour valoriser l’élevage en claustration totale. Soit le remède par le mal, puisque c’est justement ce type d’élevage qui est reconnu par le législateur européen comme porteur de « maladies systémiques » et, par les épidémiologistes, comme foyer ou relais de la majorité des anthropozoonoses émergentes. (...)
Le refus de cette modeste loi consacre le régime du « vite, mal, beaucoup, et dangereux » alors même que tous les signaux sont au rouge. L’exposé des motifs de la proposition de loi en fait lui-même état : antibiorésistance, émergence d’agents pathogènes... « L’actualité a par ailleurs mis en lumière les risques importants de zoonose liés à ces élevages intensifs », peut-on y lire. On ne croit pas si bien dire, et on aurait pu penser que la crise actuelle, par sa rapidité, sa mondialité, sa capacité à « gripper » le système, ferait l’effet d’un électrochoc. Or, rien n’y fait, bien que 85 % des Français se disent opposés à l’élevage intensif et que l’histoire des pandémies et des crises sanitaires à répétition suggère que nous vivons une ère que j’appelle le « pathocène » : une ère de maladies industrielles et d’émotions « pathétiques » face au péril (...)

Le bœuf limousin pesait 300 kilos au début du XIXe siècle et une tonne en 2000. Les poulets avaient besoin de 120 jours vers 1920 pour atteindre 1,5 kilo quand 35 jours suffisent aujourd’hui. La police sanitaire du bétail des années 1870 était déjà confrontée à tous les problèmes que nous connaissons : la maladie se répandait comme un incendie en raison de la promiscuité, du nombre, du transport au long cours. Il faut abattre encore et encore. Et, au lieu de préconiser la décroissance et la fragmentation des troupeaux, les vétérinaires misaient et misent toujours sur les progrès de la médecine (à l’époque, la vaccination des bêtes). Ils traitaient les accès et non leurs causes, comme le font les pouvoirs publics aujourd’hui, qui préfèrent renforcer l’action biosécuritaire et la recherche de traitements topiques plutôt que réformer le modèle de la ferme industrielle. (...)

Le lien entre ce que nous mangeons et ce qui nous arrive est sans cesse passé à la trappe et invisibilisé. Par les défenseurs de l’agriculture conventionnelle mais aussi par les réformateurs, au titre du « bien-être animal », formule magique d’apaisement des consciences. Car comment une loi européenne peut-elle répéter trente-trois fois le mot bien-être (« y compris en ce qui concerne les méthodes de mise à mort », souligne-t-elle), et autoriser l’agriculteur à augmenter la densité de ses troupeaux selon la performance de ses installations et s’il ne dépasse pas un taux de mortalité très moyen ? (...)