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Libération
Education civique : nouveaux programmes, vieille morale
Par Pierre Kahn, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université de Caen
Article mis en ligne le 13 juillet 2018

Des changements dans les cours d’Enseignement moral et civique doivent être annoncés ce jeudi. Réorganisée autour de la discipline et du respect des codes sociaux, cette matière risque d’oublier de former des citoyens actifs, estime l’un des auteurs des programmes actuels.

L’enseignement moral et civique (EMC) existe, sous cette appellation, depuis la loi de refondation de l’école de 2013. C’était un projet à maints égards nouveau, au moins sur deux points : il couvre la totalité de la scolarité, du CP aux classes terminales des lycées (y compris le lycée professionnel) et il ne se réduit pas à la seule éducation civique, puisqu’il introduit, dans son intitulé même, une dimension morale explicite.

Les programmes de 2015 se sont efforcés d’être à la hauteur de cette nouveauté, en refusant de faire d’un tel enseignement une resucée des leçons de morale et d’instruction civique d’antan - ce dont d’ailleurs les enseignants ne voulaient guère. Ces programmes insistaient (puisqu’il faut en parler au passé) sur la nécessité de s’appuyer sur des dispositifs pédagogiques propices à l’acquisition d’une culture morale et civique réfléchie, argumentée, critique plus que dogmatique : propices, en un mot, à une culture morale et civique pouvant faire sens pour les élèves et aussi pour les enseignants qui ne regardaient pas forcément d’un bon œil l’idée même de réintroduire la morale à l’école.(...)

Il serait aberrant d’affirmer que ces programmes étaient parfaits. Mais il faut s’interroger sur les changements qu’apporte la réécriture actuelle, et dont certains éléments sont annoncés ce jeudi par le Conseil supérieur de l’éducation, parmi plusieurs « ajustements » dans les programmes scolaires. La nouvelle vision conserve comme des vestiges certains éléments des programmes d’EMC de 2015. Mais elle leur tourne le dos et s’inscrit dans un discours général de la restauration à la fois préoccupant et probablement inopérant : apprentissage de la Marseillaise (déjà voulu, avec le succès que l’on sait, par Chevènement en 1985), retour de la dictée quotidienne, de la grammaire scolaire traditionnelle, retour à l’idée d’une progression par année - ce qui vide l’idée de cycle d’une grande partie de son sens, dénonciation idéologique des prétendus « idéologues » qui auraient sévi jusqu’alors (antienne indémodable depuis environ cinquante ans), idéal d’un retour à l’ordre et à la discipline, à l’apprentissage des règles de conduite (langage, décence vestimentaire, hygiène), symbolisé dans le nouveau projet d’EMC par le recours insistant au thème du respect (le mot revient si souvent qu’il serait fastidieux d’en compter les occurrences) : on est loin des enjeux d’une culture morale et civique qui apprenne aux jeunes à construire ensemble un mode commun qui ne peut plus être présenté comme un donné préexistant et indiscutable. La faiblesse pédagogique du nouveau texte est à cet égard éloquente.(...)

Le retour affiché et démagogique au « bon sens » ne doit pas tromper. Le nouveau projet d’enseignement moral et civique n’est pas à la hauteur des enjeux moraux et civiques d’une République non épargnée, tant s’en faut, par les querelles concernant les valeurs. Il renonce à l’ambition d’affronter les défis éthiques et civiques d’un tel pluralisme et de faire comprendre que des hommes et des femmes qui ont la liberté de ne pas se ressembler doivent pouvoir trouver dans leur confrontation même des raisons et des moyens de se rassembler.