
La conviction, exprimée par Jean-Pierre Terrail dès le début de son livre1, « de l’exigence, dans le monde d’aujourd’hui, d’une éducation scolaire pour tous de haut niveau », est unanimement partagée. Ce qui sépare Jean-Pierre Terrail de l’opinion dominante en la matière, c’est qu’il place la valeur émancipatrice du savoir au dessus des seules vertus utilitaires de la formation (compétitivité, emploi) et qu’il accorde une importance particulière aux inégalités sociales d’accès à une éducation de qualité. Or, dit-il, si notre école a connu en un demi-siècle un essor considérable de la scolarisation des jeunes générations, elle échoue « à assurer un accueil satisfaisant à la masse d’élèves issus des classes populaires ».
(...) La rénovation pédagogique des années 1970, qui doit beaucoup aux transformations de la société française de cette époque, a généralisé des orientations pédagogiques (pédagogies actives, pédagogies de la motivation et de la découverte, pédagogie différenciée et individualisation de l’enseignement …) d’abord établies à l’intention des élèves en difficulté. Elles visent en priorité les enfants des classes populaires, dont les échecs sont attribués à l’absence des « ressources cognitives et culturelles dont les autres ont hérité » et apparaissent ainsi comme une réponse à l’insuffisance postulée de leurs ressources intellectuelles. C’est ce que Jean-Pierre Terrail appellera plus loin « le paradigme déficitariste ». Dans l’idéal, les pratiques pédagogiques adoptées aujourd’hui doivent à la fois susciter, grâce à une phase de découverte, une appétence suffisante de ces élèves pour le savoir et mettre en jeu, dans les activités proposées, des connaissances suffisamment ambitieuses pour leur permettre de prolonger leur scolarité à l’égal des enfants de milieux plus favorisés.
Mais il faut bien reconnaître, souligne Jean-Pierre Terrail, en appuyant son commentaire sur de nombreux exemples, que ce défi « n’a pas été relevé de façon satisfaisante. […] La mise en scène ludique et concrète de la quête des savoirs tend à envahir la totalité des séquences d’enseignement au détriment de l’appropriation des savoirs, comme si elle était à elle-même sa propre fin », entraînant ainsi de fait une dépréciation des savoirs. Les activités censées favoriser l’accès des élèves au savoir visé prennent parfois des chemins tellement détournés qu’on en oublie l’objectif. Il peut même arriver qu’elles lui fassent obstacle. Et, comme le mettent également en évidence Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller2, les professeurs peinent à adapter leur enseignement aux difficultés d’une partie de leur public (différenciation de l’enseignement) sans abaisser leur niveau d’exigence, ce qui provoque des inégalités entre établissements, entre classes et même entre groupes d’élèves au sein d’une classe. (...)