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EXCLUSIF - À Bure, dans un arbre du bois Lejuc, que les militants ré-occupent
Article mis en ligne le 24 février 2018

Ce vendredi matin, une action de ré-occupation du bois Lejuc est lancée par plusieurs opposants au projet Cigéo. Une journaliste de Reporterre est sur place. Reportage en direct. Et récit de la journée d’hier, en partenariat avec Radio Parleur.

16 h 20 - Avec Isabelle, nous sommes redescendus de l’arbre sans encombre, et sommes retournées à travers la forêt jusqu’à notre véhicule. Grande surprise : sur le chemin, nous n’avons croisé aucune âme qui vive, en tout cas aucun gendarme. Une fois revenues à la Maison de la résistance, à Bure, nous constatons que beaucoup de gens sont arrivés, ils sont plus nombreux qu’hier. Sans doute les appels à soutien ont-ils porté leurs fruits. Pendant ce temps, les deux "Hiboux" avec qui nous avons occupé la plate-forme y sont toujours : ils continuent à aménager une cabane à partir de bâches, de palettes et de couvertures. Le ravitaillement va bientôt leur parvenir. En ce qui nous concerne, retour sur Paris, et on vous donne demain matin, sur Reporterre, des compléments de récit sur cette journée. (...)

10 h 54 - On est toujours en haut de la plate-forme. On n’a pas vu de policiers, mais un hélicoptère tourne en permanence autour de nous. On a vu passer d’autres opposants, donc à priori, il y a du monde dans le bois, mais du haut de l’arbre, il n’est pas possible de savoir combien. D’autres arbres seraient occupés. Tous les accès connus des gens qui vivent dans le bois depuis un an ne sont pas connus des forces de l’ordre. On nous a même apporté des couvertures, de la nourriture, de l’eau.

08 h 00 - En ce vendredi matin, aux premières heures, une action de ré-occupation du bois Lejuc a commencé par plusieurs militants. Afin de témoigner, je suis dans un arbre, avec deux d’entre eux et une journaliste belge. Le message des activistes : « Nous ne lâchons rien et continuons à défendre la forêt. Hier, c’était une opération de communication du gouvernement. » (...)

Ce jeudi 22 février, une trentaine de militants s’y sont réunis après l’expulsion du bois Lejuc le matin. Cette forêt, à quelques kilomètres du village, est habitée depuis juin 2016 par les opposants, qui veulent ainsi retarder les travaux de défrichement nécessaires au projet d’enfouissement. Ils y ont construit des cabanes confortables, dans les arbres et au sol. Mais ce matin à l’aurore, une dizaine d’habitants ont été expulsés par près de 500 gendarmes mobilisés pour l’opération, dont certains spécialisés.

Apprenant l’événement, nombre de militants — vieux, jeunes, nouveaux venus ou habitants historiques — vivant dans les villages alentours ont accouru à BZL. Pensant être en lieu sûr pour discuter de la suite. Sauf que les gendarmes étaient présents en masse autour de la vieille demeure, et que le ton est monté. En milieu de matinée, les militaires sont entrés dans la maison en forçant les portes, d’après eux « pour retrouver les auteurs de destructions ». Des fenêtres de la mairie ont en effet été cassées.

À l’intérieur, les militants regroupés à l’étage se sont assis et accrochés les uns aux autres. Pendant plus de trois heures, les gendarmes les ont évacués un par un, non sans violence. Certains ont été emmenés vers un commissariat du département — pour vérification d’identité principalement, et certains pour outrage —, d’autres ont été relâchés. Ceux-ci rejoignent, émus et choqués, le petit attroupement formé près de la mairie, qui les accueille à grand renfort de café chaud. Ceux qui sont embarqués passent près de leurs camarades de lutte, qui leur lancent des hurlements de loup et des cris de soutien. D’après nos observations, celles et ceux qui sont embarqués sont « inconnus » des services de police. « Ils gardent ceux qu’ils ne connaissent pas, pour les ficher », dit un opposant. (...)

Dix minutes plus tard, un autre opposant sort de la maison, solidement escorté par deux gendarmes. « Vous créez les conditions d’amplification de la lutte, leur lance-t-il. Ce n’est que le début de la bataille ! » Des appels à mobilisation ont été relayés partout en France. « C’est l’État et l’Andra qui sont responsable du pourrissement de la situation, ajoute-t-il, indigné, une fois libéré. Que valent quelques jets de pierre face à la violence de la répression policière et le harcèlement judiciaire dont nous faisons l’objet ? » (...)

En passant près de Mandres, où le secrétaire d’État Sébastien Lecornu devait peut-être passer, nous rencontrons Juliette Geoffroy, pore-parole du Cedra (collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs) : « On nous appelle hier pour nous dire que le ministre veut nous rencontrer vendredi matin, qu’il faut ouvrir le dialogue et la concertation. Comment peut-on parler de concertation après ce qui vient de se passer ? On veut nous diviser, nous séparer entre bons et mauvais opposants, entre ceux qui sont illégaux et ceux qui restent dans la légalité. Mais la question n’est plus là : nous sommes tous ensemble, un mouvement d’opposition riche et hétérogène, qui utilisons tous les moyens légitimes en notre possession pour faire entendre notre voix ! » Il n’y aura donc pas d’entrevue vendredi avec M. Lecornu, mais un rassemblement de toutes les associations d’opposants devant la préfecture de Bar-le-Duc.

Grâce aux indications d’un habitant du bois, nous parvenons à rejoindre le bois Lejuc à la tombée du jour. Là, au pied du Grand Chêne, un arbre centenaire qui accueillait quelques heures auparavant une maisonnette sur ses plus hautes branches, un amas de branches, de planches, de matelas et d’ustensiles de cuisine. « Ici, c’était ma maison pendant un an et demi ; que de beaux moments nous y avons vécu », sourit Sylvère* (prénom changé).

Près du chêne, les bulldozers sont passés sur le chemin, mettant à bas les chicanes construites ça et là. Mais sur la route fraîchement dégagée, à part quelques chevreuils profitant du crépuscule, il n’y a pas âme qui vive. Les gendarmes semblent concentrés aux orées du bois.

Quant aux opposants, ils se sont retrouvés à BZL, « libérée » de la présence policière depuis 16 h. Histoire de préparer la réponse. Dans l’immédiat, il s’agit de soutenir les camarades toujours au commissariat. De recueillir les témoignages de cette journée. De relayer des appels à mobilisation et de préparer l’accueil des comités de soutien qui pourraient arriver dans les jours à venir.

Et de réfléchir à la suite. Pour toutes les personnes rencontrées ce jeudi, outre l’émotion et la colère, c’est la détermination qui domine : « On ne lâche rien, le bois sera réoccupé, rien n’est fini, tout ne fait que commencer. »